Histoire d’amour entre deux adolescentes kenyanes, il sort en France ce mercredi.
Le 21 septembre dernier, la réalisatrice kenyane Wanuri Kahiu tweetait : « Je pleure. Dans un aéroport français. » La réalisatrice, connue pour ses engagements politiques progressistes, venait de gagner une bataille légale contre son propre pays.
I am crying. In a french airport. In SUCH Joy! Our constitution is STRONG! Give thanks to freedom of expression!!!! WE DID IT! We will be posting about Nairobi screening soon. Follow @rafikimovie
— Wanuri (@wanuri) September 21, 2018
Plus précisément, contre la commission de censure kényane, qui avait interdit la diffusion de son film, Rafiki, dont les deux protagonistes principales sont deux jeunes femmes qui tombent amoureuses.
L’homosexualité est toujours interdite au Kenya, et ce depuis les lois coloniales britanniques. « Je pensais que nous écoperions d’une interdiction aux moins de 18 ans », se désolait la réalisatrice à Cannes en mai dernier. Le film avait connu un beau succès sur la croisette. Il s’agissait du premier film kényan jamais diffusé à Cannes. Une victoire pour la réalisatrice qui revendique de communiquer à travers le monde l’image d’une jeunesse kenyane joyeuse, anticonformiste et créative.
Mais la censure dans son propre pays venait alors noircir le tableau : « Le droit de nos artistes, c’est celui de créer. Et le droit de notre public, c’est celui de voir. Et ces deux droits ont été violés par le Comité kenyan de classification des films. C’est vraiment une honte parce que ça veut dire que notre public n’a pas le droit de voir ses propres films, qui sont faits pour eux et par eux.»
Elle présente le film « Rafiki » à Cannes mais dans son pays, le Kenya, il a été censuré pour « promotion du lesbianisme ». Voilà le message que la réalisatrice @wanuri veut faire passer aujourd’hui. #BrutCannes pic.twitter.com/ep3DR6espj
— Brut FR (@brutofficiel) May 8, 2018
Wanuri – comme on la surnomme au Kenya – a donc décidé de se battre, en poursuivant en justice la commission de censure. En dépendait notamment sa sélection aux Oscars, puisque l’académie américaine requiert que chaque film sélectionné ait été diffusé au moins sept jours consécutifs dans le pays qui le soumet. La victoire est donc double pour la réalisatrice. Non seulement Rafiki ira à Los Angeles en février prochain, mais il est également projeté, depuis le 24 septembre, à Nairobi.
Sept jours, et pas un de plus, c’est ce qu’a décidé la juge kényane Wilfrida Okwany : « Je ne pense pas que le Kenya soit une société si faible que ses fondations morales puissent être ébranlées par un film de ce genre ». Sept séances quotidiennes, qui devraient faire salle comble.
Oh my Nairobi!!! Thank you for selling out the first screening!! Thank you for watching our film! Thank you for believing!!! (Hope we didn’t turn you)! #Rafiki
— Wanuri (@wanuri) September 23, 2018
Wanuri, réalisatrice engagée
Wanuri est connue pour son engagement féministe et progressiste. À 37 ans, elle fait partie de cette nouvelle génération du cinéma africain qui veut redonner une image positive au continent et lutter contre les clichés qui l’assaillent. « J’ai fait Rafiki parce que je voulais voir une histoire d’amour africaine. J’avais 16 ou 17 ans quand j’ai vu pour la première fois un couple africain s’embrasser au cinéma. Avant ça, j’avais vu des Américains s’embrasser à l’écran, des européens s’embrasser à l’écran, mais jamais des africains. La première fois que j’ai vu des africains s’embrasser à l’écran, c’était une histoire sur le SIDA », explique-t-elle à Brut.
La réalisatrice s’attaque ainsi à de nombreux tabous : homosexualité, droit des femmes, liberté d’expression… Des combats qu’elle mène de front, tout comme elle défend sa place de réalisatrice, vocation découverte à 16 ans, qu’elle décrit comme « illogique et irréaliste » dans le Kenya dans lequel elle grandit. Après un parcours universitaire scientifique imposé par ses parents, elle part étudier le cinéma en Californie. Son premier film, From a Whisper, lui vaut cinq prix aux Africa Movie Academy Awards en 2009, dont celui de la meilleure réalisatrice.
La même année, elle réalise For Our Land, documentaire sur les traces de Wangari Maathai, première femme africaine, et première militante environnementale à recevoir un prix Nobel de la paix en 2004.
Wanuri a également co-fondé le collectif artistique AFROBUBBLEGUM, qui promeut un art africain « drôle, frivole, et féroce ».
Visuel : © Rafiki / UniFrance films