La chronique de Jean Rouzaud.
Le Jeu de Paume à Paris nous propose un artiste rare. Un dadaïste de la première heure qui aura eu le courage de s’attaquer à tout, sans plan de carrière, dans une époque plus que troublée.
Raoul Haussman (1886-1971) fut écrivain, photographe et un plasticien dadaïste. Cofondateur du mouvement dada à Berlin en 1918, (le mouvement avait démarré au Cabaret Voltaire à Zurich en 1916, avec Hugo Ball), il se lance dans le photomontage et la poésie optophonétique ! Il a inventé une machine transformant les sons en lumières colorées et vice versa (démonstration optophonétique le samedi 17 février à 20h30 au Musée !)
Avec son ami Richard Huelsenbeck, aussi actif que lui, ils vont faire évoluer le mouvement artistique révolutionnaire Dada, notamment avec le peintre expressionniste George Grosz, car il ne suffit pas de rejeter l’académisme et les institutions vieillottes, mais d’avancer encore…
« Automobile d’âme »
Il faut regarder ses photomontages, faute d’entendre ses poèmes phonétiques, qu’il nomme « Automobile d’âme », ou de pouvoir observer les danses qu’il pratiquait aussi !
Mais ce que nous montre cette expo, ce sont les magnifiques photos qu’il a faite au cours de ses exils. Car dès 1921, avec l’extraordinaire Kurt Schwitters, il font une soirée anti Dada à Prague, enterrant le mouvement berlinois. Mais Haussmann déclare que Dada continue de vivre en lui !
Entre livres, conférences, et participation à des revues, il va se lancer dans la photographie avec un talent et un modernisme incroyable.
Talent et modernisme
D’abord sur l’île de Sylt au large du Danemark, puis en mer Baltique et enfin à Ibiza, en pleine Méditerranée catalane, où il débarquera en 1933 chassé par le nazisme montant (au cours des années 60 ce sont encore des Allemands qui relanceront Ibiza, comme un paradis naturel…) Puis il sera viré des Baléares par les franquistes auxquels il a résisté.
Ses photos montrent des nus simples et beaux sur la plage, mais aussi des visages, les maisons magnifiquement cubiques d’Ibiza, des dunes majestueuses, des plans serrés d’artefact comme cannages, chaises, plantes, cailloux ou fleurs, le tout évoquant ce que l’on verra beaucoup plus tard dans des revues de photos haute de gamme comme Camera.
D’autres grands artistes le soutiendront comme Raoul Ubac ou Hans Arp et sa compagne Sophie Taeuber-Arp. Lazslo Moholy-Nagy, un rescapé du Bauhaus, échoue à le faire venir à Chicago, à l’institut de design…
Après l’isolement, réfugié dans le sud-ouest de la France, Il sera redécouvert après-guerre, et survivra , enfin réexposé et publié, reconnu par de nouveaux artistes comme Viallat, Debord, Maciunas…
Car les images modernes et pures qu’il a osé, ont ouvert un champ infini à la photographie en extérieur, loin des studios et de l’artificiel.
Raoul Haussmann. Un regard en mouvement. Musée du Jeu de Paume, place de la Concorde. Du 6 fevrier au 20 Mai 2018
Visuels : (c) Raoul Haussmann