Prenons quelques nouvelles du californien Steve Lacy dont on écoute depuis quelque temps sur les ondes de Nova le dernier album Gemini Rights…
Steve Lacy parcourt actuellement les états nord-américains avant de décoller pour poursuivre sa tournée en Australie et en Europe. Une tournée marquée par quelques déconvenues qui peuvent mener à un agacement légitime de la part de l’artiste originaire de Compton.
La semaine dernière, Steve Lacy a prématurément quitté son show après un craquage sur scène. La Cause ? Un fan lui tend son téléphone pour qu’il prenne une vidéo en plein concert. Steve Lacy, l’empoigne, l’explose sur le sol, avant de quitter le plateau.
Smartphone, le projectile connecté
Cela pourrait paraître surprenant pour celles et ceux qui n’auraient pas mis les pieds depuis longtemps dans des concerts où le public rassemblé est assez jeune, mais depuis quelque temps, il n’est pas rare que des personnes dans le public tendent ou jettent leur smartphone sur les artistes en train de performer. Le but n’est pas d’offrir son téléphone à l’artiste en question, mais plutôt de susciter une réaction de celui-ci.
Quand il est lancé, le smartphone est en train de filmer et le but étant que l’artiste le ramasse, apparaisse en vidéo puis le rende à la personne dans le public qui obtiendrait alors une vidéo avec l’artiste.
C’est ce qui est arrivé à Steve Lacy le 24 octobre dernier lors de son concert à la Nouvelle-Orléans. Derrière cet événement, qui pourrait sembler être une histoire isolée, se cache en réalité un phénomène et une dynamique bien plus importante. Un geste qui montre un ras-le-bol évident de la part de nombreux artistes.
Tais-toi et danse
Un autre facteur qui a pu contribuer à l’énervement de Steve Lacy est le décalage qu’il y a avec son public qui ne connaît pas une grande partie de sa musique. Le succès de son morceau “Bad Habit” qui cartonne sur TikTok lui a permis de remplir ses dates et de faire salle comble lors de ses concerts. Le problème avec la mise en avant par cette application est l’attractivité d’un public qui ne connaît de lui qu’un seul morceau… et seulement son refrain.
Alors quand vient le moment tant attendu de scander le refrain de ce titre, tout le monde sort son téléphone et filme. Un contraste flagrant avec le reste du concert beaucoup plus silencieux. Les gens ne connaissant pour la plupart ni les paroles, ni même les titres ou quoi que ce soit des autres morceaux.
Ce phénomène illustre un changement de relation entre public et artiste que certaines voix dans le milieu dénoncent. Les artistes ne sont plus considérés comme des personnes en tant que tel, mais comme des fournisseurs de contenu divertissant. Une relation qui montre un désintérêt grandissant pour les créations artistiques au profit d’un fanatisme envers les interprètes.
Tik Tok, cible facile
Il serait facile de porter les téléphones portables en boucs émissaires une fois de plus, mais cela serait d’une part trop facile, et d’une autre, on manquerait de comprendre le problème dans sa globalité. En réalité, ce qui est en jeu ici, c’est une différence de publics au sein de l’audience globale d’un artiste, et c’est un phénomène qui prédate largement la popularisation de TikTok.
Si l’on prend l’exemple du groupe anglais Artic Monkeys, devenu populaire avec leur premier disque Whatever People Say What I Am, That’s What I’m Not, en 2007, soit l’ère des blogs, du rock anglais frénétique qui s’écoute dans des house parties ou dans des pubs gonflés à blocs.
Le groupe emmené par Alex Turner connaît une longue carrière (est encore en activité aujourd’hui), et les opus s’enchaînent sans jamais vraiment supplanter, en terme d’audimat, les hits du premier disque (même si quelques rares morceaux se séparent du lot, comme Fluorescent Adolescent).
Ça, c’est jusqu’à la sortie d’AM (jeu de mots entre l’horaire matinal auquel se terminent les bonnes soirées 3,4,5 or 6 AM, et les initiales de la formation rock british). AM est un succès pop, qui touche des oreilles nouvelles et bien plus qu’à l’époque de leur premier album. Ce public qui découvre le groupe avec AM, imagine les Arctic Monkeys comme un groupe de balades qui se dansent lentement, soit une version adoucie et plus accessible comparée aux rythmes de Brianstorm ou de When The Sun Goes Down.
Donc en tournée, lors de leur concert, il y a eu une réelle incompréhension et un schisme entre les fans des premiers disques, venu pour sauter dans tous les sens et pogoter, et celles et ceux du dernier, surtout là pour allumer leur briquet pendant Do I wanna know. C’est ce même genre de distance au sein des publics que vit actuellement Steve Lacy dans sa tournée.
Laissez les portables dans vos poches
Avec tous ces facteurs en tête, on comprend donc que Steve Lacy, coincé dans une tournée où il se retrouve face à un public ne connaissant qu’1% de sa musique et victime de jets de téléphones à longueur de shows, soit un peu agacé… D’autant plus pour un artiste à la discographie riche.
Steve Lacy sera de passage à Paris au Trianon les 16 et 17 décembre prochain. Laissez vos téléphones à la maison et écoutez plutôt ce deuxième titre d’Apollo XXI, “Like Me”.
Un texte issu de C’est Bola vie, la chronique hebdomadaire (lundi au vendredi, 8h45) de David Bola dans Un Nova jour se lève.