Réalité, le nouveau film de Quentin Dupieux le confirme en grand cinéaste surréaliste.
On va finir par se demander dans quel espace-temps vit Dupieux. Depuis Steak, ses films existent en dehors de nos sphères, dans cet univers étrange, touffue forêt qui séparerait les mondes de David Lynch, Charlie Kaufman (le scénariste d’Eternal sunshine of the spotless mind ou Dans la peau de John Malkovich) et Luis Bunuel.
Réalité poursuit cette jonction, en assumant plus encore une structure surréaliste (au sens premier du terme), comme un collage façon cadavre exquis, entre une gamine obsédée par une VHS surgie des entrailles d’un sanglier que son père a ramené de la chasse, un acteur d’émission télé sur la cuisine persuadé d’être rongé par un eczéma invisible aux yeux des autres et un cinéaste à la poursuite du cri parfait qu’exige un producteur pour donner le feu vert à son projet de film d’horreur. On pourrait encore dérouler d’autres mini-intrigues qui nourrissent le maraboud’ficelle de Réalité.
Depuis le « No reason » qui faisait figure d’explication en ouverture de Rubber, on sait qu’il ne sert pas à grand chose de vouloir expliquer les films de Dupieux. Ca tombe bien, il existe un autre moyen de décrypter Réalité, qui ne tient en fait qu’à deux ou trois choses : le goût de son auteur pour le cinéma des marges, notamment les séries B, limite Z et une capacité enfantine à jouer à « et si on disait que ».
Entre les deux, Réalité se replie peu à peu comme un origami, ne révélant qu’à la dernière minute sa véritable nature. S’il fonctionne comme des poupées russes, imbriquant ses différentes histoires, c’est probablement du côté d’une explication méta, qu’il faut aller chercher.
Allez quelques indices: la VHS, le milieu de la production, la série Z (mais aussi un mystérieux film d’auteur). C’en est assez pour estimer que Réalité parle… de cinéma et de son impact sur la psyché.
Un sujet à la mode ce moment (Cf. Sils Maria, le dernier Assayas ou le Birdman d’Inaritu à sortir…), mais auquel Dupieux se confronte plus clairement – le personnage du réalisateur qui dirige ce film d’auteur a un look très proche du sien.
Comme diraient les critiques les moins inspirés, Réalité a tout « du film de la maturité » pour Dupieux. Ne serait-ce qu’en laissant la musique non pas à son alter-ego Mr Oizo, mais à Philip Glass. Où en poussant la logique détraquée de son univers dans ses derniers recoins.
Plus sophistiqué, reposant moins sur des gags que ses films précédents, Réalité, ouvre la porte d’un univers à la Lewis Caroll, avec cette gamine qui pourrait bien être une nouvelle Alice au pays des merveilles, se baladant dans un fascinant cabinet de curiosités.
Bien malin celui qui voudrait tout comprendre ici, il vaut mieux, comme cette gamine, ou le producteur (fantastique Jonathan Lambert) se placer en simple position de spectateur, puisque même ses personnages sont dépassés par les évènements. Et se laisser porter par la mise en scène impeccable ou l’effet assez dément d’une oeuvre plus interactive que prévu : quand le malade imaginaire se voit diagnostiquer un eczéma géant à l’intérieur de son corps (!), c’est bien les gens dans la salle qui finissent par se gratter la tête, devant un film qui la ronge dès qu’on essaie de le faire entrer dans une case. Normal : le cinéma de Quentin Dupieux fait tout pour les casser.
En salles le 18 février