La chronique de Jean Rouzaud.
Comment ne pas réagir devant une idée, si opposée à tous les principes de la société de concurrence et d’émulation dans laquelle nous vivons… ? Ne pas « parvenir », ça veut dire quoi ?
Les éditions Nada présentent ce livre collectif, issu du CIRA (Centre International de Recherches sur l’Anarchisme, situé à Lausanne). Car l’anarchisme suisse est une vieille tradition, inattendue, mais bien vivante. Ces textes débattent justement des possibilités d’échapper à la fausse fatalité sociale de « gagner ou perdre »….
Alternative
Historiques, théoriciens, exemples, nous sont présentés afin de comprendre ce point de vue : il ne s’agit pas de ne pas tenter la réussite, d’échouer, mais de réussir collectivement. Une alternative !
Nous vivons sous l’injonction de la réussite : il est partout question d’individualisme, de lutte, de dépasser les autres, de s’élever au dessus-de la masse… Bref, les critères habituels d’une société qui admire les gagnants, les battants, la réussite financière plus que personnelle.
Ce serait le désir de monter plus que les autres, s’établir plus haut, qui serait la règle de l’humanité depuis la nuit des temps… et sa réussite ?
Au temps de la mondialisation-globalisation, l’idée « collective » reprend une place importante. Beaucoup de théoriciens, d’économistes lorgnent vers le partage, la redistribution, la solidarité.
Les historiques : Bakounine, Kropotkine, Léon Tolstoi, Charles Fourier, Elysée Reclus, Pierre Joseph Proudhon, Albert Thierry… jalonnent cet ouvrage de référence. Souvent des fils de famille, nantis, choisissant le partage avec les autres, bataillant pour une société plus solidaire.
Les luttes sociales, syndicales, révolutionnaires font elles avancer ces idées de fraternité ? Les penseurs historiques de ces combats affirment que dès qu’un révolutionnaire acquiert un quelconque pouvoir, il se conduit immédiatement en égoïste, traître de classe, profiteur !
Il faudrait donc passer par une démarche personnelle, un travail de conviction pour calmer nos ardeurs de réussite et de commandement, mais surtout un changement de regard, d’angle de vision.
De même qu’il ne faut pas dire « décroissance », mais contrôle de la croissance, il ne faut pas dire « ne pas parvenir, jamais ! », mais réussir ensemble, dans une organisation rentable et profitable au maximum de gens. Car le partage est le début de l’efficacité durable !
L’union fait la force (qu’on se le dise, en Europe…)
On sait qu’à terme l’écologie rapportera plus qu’elle ne freine. On sait que la mutualisation des coûts dégagera plus de bénéfices pour une communauté, ensuite utilisés à améliorer encore la gestion.
Un milliardaire, au milieu d’une société pauvre, est isolé et coincé (il ne fréquente alors que ses domestiques…) mais s’ il vit entouré de gens plus à l’aise, alors le mélange se fait, et la vie reprend.
Les idées les plus paradoxales contiennent souvent plus de possibilités que les éternels diktats : que le meilleur gagne ! La loi du plus fort… et le dictateur sombre dans un délire plus ou moins paranoïaque, dû à sa solitude, son manque d’interlocuteurs ? Éternel débat.
Aucun ouvrage ne répond à la question du pouvoir et du collectif, mais qui peut nier qu’une société d’arrivistes, un « panier de crabes », ou la lutte pour une réussite (fantasmée) est sans cesse recommandée, ne prédispose pas vraiment à réfléchir à d’autres solutions.
C’est souvent le mélange des contraires (autorité ET solidarité, volonté ET obligation), qui finit par donner le résultat. Je sais, c’est assez troublant.
Refuser de parvenir. Idées et pratiques. Recueil coordonné par le CIRCA de Lausanne. Éditions Nada. 295 pages. 20 euros. Avec citations, articles, historiques et précurseurs du « non parvenir » + rapports de réunions et colloques autour de l’architecture, la photo, l’édition sur cette tendance au collectif, issue de l’anarcho-syndicalisme. Beaucoup de signatures passées et présentes ont participé à ce recueil.
Visuel en Une © Éditions Nada