À l’occasion de la sortie de son premier album, rencontre avec le DJ et producteur français.
En archéologie, les fragments séquencés sont les noms, libérés des amas de poussières infinies, que l’on donne à ce qui vient d’être découvert, et qui n’a, faute de temps, pas encore eu l’occasion d’être minutieusement nommé. Fragments Séquencés, c’est donc également le nom que Renart, producteur prolifique (une demi-douzaine d’EP depuis 2010, dont l’excellent Petits charmes), vient de donner à son tout premier LP, paru chez Cracki Records.
Et les noms, chez le DJ et producteur français, ne sont pas anodins. Le sien déjà, dans un genre qui s’y prête peu (la techno introspective) provient du Roman de Renart, cet ensemble de récits médiévaux et animaliers rédigés en vers, considéré comme l’un des chefs-d’oeuvres ultimes (avec les romans de Chrétien de Troie, sans doute) de la littérature médiévale. Et comme dans ce roman d’un autre millénaire, ce premier LP est morcelé comme un véritable recueil, d’autant que celui-ci n’a pas été composé d’une seule traite (un morceau comme « Souvenirs miroirs » date par exemple d’il y a quatre ans). Renart, par voix téléphonique :
« Un morceau doit être la première phrase d’un livre »
« Dans Fragments Séquencés, j’ai essayé de raconter des petits paysages sonores. Je voulais qu’il y ait des reliefs sur les morceaux. J’ai toujours aimé les histoires, et voulu que mes disques soient des univers dans lesquels on puisse se balader. J’intellectualise pas forcément les morceaux eux-mêmes, ma composition étant assez instinctive, mais par contre, je réfléchis très longtemps aux noms que je donne à mes morceaux. Chez moi, un morceau doit être capable de pouvoir raconter une histoire à lui seul, être la première phrase d’un livre. »
Un album composé de nouvelles, short stories élégantes rédigées à l’encre electronica, techno, IDM ? On a alors la sensation de passer des nouvelles robotiques d’Asimov (« Cyber-moineau ») à celles, horrifiques, de Maupassant, période « Le Horla » (« Terreur sur la ville ? »). On abandonne surtout l’idée d’un producteur d’abord axé, comme ce fut le cas un temps, sur la fusion des musiques dites « moyenâgeuses » et des musiques électroniques.
« Au tout début, il y avait pour moi l’objectif de faire de la techno moyenâgeuse. Essayer de refaire ces très vieux morceaux et de balancer des gros kicks dessus. C’est une idée qui m’a toujours accompagné : allier la techno, un peu futuriste, avec quelque chose de passé. Ma mère est fan de Moyen Âge. C’est elle qui m’a transmis ça, en nous lisant notamment à mes frères et soeurs et moi, beaucoup d’histoire qui m’ont donné une vision de cette qui est très loin de ce que les gens ont en tête. Pour moi le Moyen Âge ce n’est pas sombre : c’est l’époque des arts, des cathédrales, de la musique. C’est la fin de l’Antiquité, effectivement, mais c’est aussi une période grandiose ».
« Faire danser les gens. Mais dans le noir »
Cette passion viscérale pour le Moyen Âge, loin des Images d’Épinal désastreuses parvenues jusqu’au XXIe siècle, et véhiculées par les Humanistes et les intellectuels du XVIIIe qui ne juraient que par l’Antiquité, Renart l’affinera en fac (via des études en lettres classiques, Sorbonne), puis via sa musique, sombre comme la lumière d’un cachot mal isolé, sans fenêtre mais avec beaucoup d’humidité, un millénaire auparavant. « Le concept du projet Renart est noir, c’est comme ça. c’est fait pour faire danser les gens, mais dans le noir. »
Danser, surtout, comme lorsque la transe prend les commande, et permet le dépassement ultime. « Je vois la musique comme une façon de ritualiser notre présent, comme une résurgence des rituels qu’il y avait dans la musique de l’Antiquité. Aujourd’hui encore, cette notion spirituelle existe encore dans la musique électronique, avec laquelle les gens essayent juste de sortir d’eux-mêmes. Ils prennent des produit, écoutent des trucs hypers répétitifs. Bouger ton corps, et essayer en même temps d’élever ton esprit. C’est ça la transe ».
Renart, on le recevait au Badaboum pour notre Nova[Mix]Club du vendredi. Son set, forcément bien dur, se réécoute par ici.
Visuel : (c) Melchior Tersen