Le Kid de Montreal multiplie les projets ; le dernier en date est une bande dessinée qu’il accompagne de ses compositions.
Le Kid de Montréal revient avec un nouveau projet, une bande dessinée accompagnée de la musique qui va avec. Space Cadet est l’histoire d’un robot gardien qui voit partir, pour une mission solo, sa protégée. S’ensuit alors pour lui une quête sur sa place dans l’univers, le sentiment de vide et la l’importance des liens noués entre deux êtres.
Le turntablist québécois a tracé, comme les sillons d’un disque, tous les dessins, et écrit une bande originale qui ne prend sa réelle dimension qu’en compagnie de la « nouvelle graphique ».
Non content de tout ça, il a en plus décidé de monter un live quelque peu particulier qu’il a orchestré à la Gaité Lyrique le 22 novembre dernier. Il déballe tout pour Novaplanet.
En 2003, vous aviez sorti Nufonia Must Fall, une autre bande dessinée, qui racontait l’histoire d’amour entre un robot et une femme d’affaire, pouvez-vous nous parler de ce nouveau projet illustré, Space cadet ?
Space cadet est basé sur le vide que peuvent laisser les enfants lorsqu’ils grandissent et quittent le foyer familial, ce qui est pour moi emblématique de la génération actuelle. Mais ce n’est pas une histoire pessimiste, sombre… je dirais même que d’une certaine manière, elle est plutôt optimiste. Malgré le fait que l’histoire se déroule dans des galaxies éloignées, l’endroit le plus étendu possible, il y a cette connexion entre les deux personnages, en raison de leur parenté. Ils ne sont pas seuls. Ce sentiment que j’ai moi-même pu ressentir avec mes enfants, j’ai essayé de l’insuffler à cette histoire.
Vous avez eu récemment une fille, ce projet a t’il été influencé par vos tournées et l’absence de votre famille ?
Un peu. J’ai écrit cette histoire en 2003, j’étais en tournée à l’époque et j’avais ce sentiment « camusien » que tu peux éprouver quand tu voyages toutes les dix heures (il cite une à une toutes les villes visitées)… Je me sentais souvent seul; avec les impératifs d’une tournée, tu n’as pas vraiment le temps de t’imprégner de ces expériences. Tu as l’impression de flotter dans l’espace et d’une certaine façon, ce sentiment m’a inspiré la tonalité du livre et il en fait partie intégrante.
Quand j’ai écrit Space Cadet ma fille venait juste de voir le jour (…) et cela a aussi influencé mes choix.
Pour le live, vous avez accordé une attention particulière à la mise en scène, notamment en équipant chaque spectateur d’un casque ?
Le casque fait partie intégrante du live: je voulais créer une atmosphère d’isolement, inhérente à l’histoire, tout en montrant qu’il y a une connexion entre les protagonistes. Les spectateurs peuvent sembler isolés mais ils sont tous reliés par la même bande-son et par le fait qu’ils assistent ensemble au même concert. On a essayé d’impliquer le public autant que possible dans ce spectacle.
Et puis, en live, le rendu sonore peut varier en fonction de l’acoustique de la salle et d’une multitude d’autres choses, le casque est un levier de contrôle dans la maîtrise du son. Et enfin, quand j’ai écrit Space Cadet ma fille venait juste de voir le jour et j’ai du beaucoup travailler au casque, et cela a aussi influencé mes choix.
Le travail de platiniste (« turntablist ») semble plus discret sur cet album…
Je ne me pose pas réellement la question de cette façon… En fait les scratches sont présents mais je les utilise comme un effet. Quand je fais une bande originale, j’essaye de privilégier l’intensité du son, la texture. C’est toujours pour moi une question de balance entre les instruments et les platines. C’est un peu comme les crashes de voitures dans un film d’action, il ne peut pas y en avoir tout le temps. C’est d’ailleurs très excitant pour moi de trouver le juste milieu.
Y a t-il un projet de film d’animation pour ce Space Cadet ?
Oui, il y a un projet qui commence à se faire au Canada mais cela va prendre quelques années … Malheureusement je n’ai pas beaucoup de patience… mais heureusement beaucoup d’amis avec qui réaliser ce film.
Cette bande originale est plus instrumentale que vos anciens projets, est-ce une nouvelle direction pour vous, même si vous scratchez vos propres sons ?
Les platines occupent toujours une place centrale sur mes différents disques. Pour Space Cadet je voulais maîtriser tout le processus d’enregistrement. J’ai fait appel à quelques amis musiciens dont Marika Anthony–Shaw (Arcade Fire) qui joue du violon. On enregistrait les instrumentaux et je les scratchais dans la foulée. Cette phase represente pour moi la partie la plus intéressante de l’album car c’est à ce moment que je place les effets, que je donne un groove particulier à certaines notes . Sur Space Cadet j’ai adoré travailler sur les pistes qu’on avait enregistrées de part la qualité du matériel et aussi le mastering (étape entre l’enregistrement et le pressage). Avant, je puisais dans le travail d’autres musiciens, j’étais dépendant de la matière brute. J’ai des amis peintres qui font eux-mêmes leurs pigments pour trouver la bonne la couleur, c’est cette idée que je voulais mettre en pratique.
Debussy est pour moi une grande source d’inspiration.
Le piano est en effet assez présent sur Space Cadet, avec des ambiances qui peuvent parfois rappeler le classique du début du siècle dernier, Debussy, Chopin ou Satie ?
Oui, Debussy est pour moi une grande source d’inspiration mais aussi Thelonious Monk qui a cette façon si particulière de jouer. Malgré le fait qu’il y ait peu de notes, il y a cette richesse dans l’harmonie. On a l’impression d’entendre tellement d’histoires ! Ma fille, qui venait juste de voir le jour, a aussi joué un rôle essentiel dans l’atmosphère de cette BO. Il y a cet esprit berceuse, je la voulais très minimale avec un tempo assez lent. Parfois j’écrivais un morceau avec le bras droit et je berçais mon enfant avec le gauche. Elle a été mon influence majeure, ma muse dans la composition de Space Cadet.
Vous avez commencé par sampler des morceaux de Jazz (assez calmes, donc) et en 2009 vous avez fait le projet très rock The Slew ; en général, on s’énerve au début pour se calmer après, avec la vie de famille notamment ?
J’aime surprendre. Pour moi, la musique représente des connexions entre différentes choses. J’ai grandi en écoutant du classique et du jazz. Le hip-hop est venu après et c’est par ce style que j’ai commencé faire de la musique. Le rock est venu bien après en fait, plus par l’intermédiaire des mes enfants qui n’écoutaient que ça. J’en écoutais mais il venait principalement des 70’s. Mais quand on écoute attentivement, toutes ces musiques viennent du blues, elles ont les mêmes racines. Avec The Slew on a essayé de faire un groupe de hip-hop que les fans de rock puissent comprendre et inversement. Mais c’est définitivement un album axé sur les platines, on voulait trouver la bonne alchimie entre l’énergie de Public Enemy et le son lourd de Black Sabbath. Mais bon, de toute façon j’ai toujours été décalé sur les modes …
Justement, que pensez-vous de la scène hip-hop en ce moment ?
Les deeJays ont des techniques de plus en plus sophistiquées, pour certains il y a une véritable culture du son. Il y a par exemple Nosaj Thing, de Los Angeles,qui est un des mes producteurs préférés en ce moment. La base de son travail vient du hip hop et on le ressent véritablement dans sa musique. J’ai découvert la dernière fois qu’on avait les mêmes B-sides de vieux groupes de rap, on a bien ri.
Vous êtes toujours collectionneur de disques ?
En ce moment, j’achète surtout du matériel de studio, mais je continue encore un petit peu à « digger »… J’ai commencé à 12 ans et mon premier disque était une sorte de recueil d’histoires scientifiques sur le fonctionnent des choses …
Un disque que vous avez du sûrement scratcher depuis ?
Oh oui !
Pour finir, pouvez-vous nous donner vos 5 tracks préférés du moment ?
-Helios – Eingya
-Yeah Yeah Yeah – It’s Blitz
-Nosaj Thing – Drift
-Benji Hughes – A Love Extreme
-Nick Cave & Warren Ellis – The Assassination of Jesse James OST