« Quelqu’un d’extraordinaire », première réalisation de celle que l’on a connue à travers les films de Xavier Dolan.
Nous avons rencontré Monia Chokri en juin dernier à l’occasion de la cérémonie des césars du court-métrage, où son film « Quelqu’un d’extraordinaire » a été sélectionné. Avec Anne Dorval, Magalie Lépine Blondeau, Evelyne Brochu et Anne-Elizabeth Bossé, monté par Xavier Dolan, ce film est un film d’actrices où l’on découvre tous les sens de l’extraordinaire.
J’ai lu quelque part que vous comptiez à l’origine réaliser un long métrage – pourquoi finalement un court ?
Je voulais pas forcément réaliser ce long, mais effectivement j’étais en train de l’écrire et à un moment j’ai compris que ce film là j’avais envie de le réaliser moi-même, je n’avais pas envie de le donner à quelqu’un d’autre. Mais je ne pouvais pas réaliser sans avoir essayé d’abord, et ma productrice m’a invitée à réaliser un court métrage d’abord.
Est-ce que le court métrage est forcément une étape vers le long ? Car certains réalisateurs disent qu’ils aiment le court métrage, qui est plus libre que le long format.
Je sais pas de quoi on parle quand on évoque la perte de liberté. Pour moi, quand on est un artiste, il faut savoir quand on tient de bonnes idées et il faut les mener à bout. Normalement quand on a fait un court qui est réussi, on a plus de liberté, plus de droits de parole – je ne sais pas pourquoi on la perdrait dans un long. A cause de quoi ? De l’argent ? Je n’ai pas l’impression qu’on perde tellement de libertés finalement.
Bien sur dans un court on a moins de moyens, donc plus de libertés car il y a moins de gens qui interviennent. Mais vraiment en terme de créativité, je pense que plus on a des moyens plus on gagne en liberté. Il faut aussi avoir de bons producteurs ; ma productrice m’accompagne, me suit et essaie de me propulser. On peut être libre en s’entourant bien, en sachant ce qu’on a envie de faire. Evidemment j’ai vu Xavier (Dolan) travailler et jamais il n’a perdu une liberté.
Quel est le circuit du court métrage au Canada ?
Le circuit est celui de tous les festivals dans le monde, moi j’étais à temps pour Cannes mais j’étais trop longue (ils ont une limite de 15 minutes), ensuite je l’ai soumis à Locarno, il y a eu Toronto qui est un des festivals les plus importants, mais il n’accepte que des courts-métrages canadiens. A Cannes on s’en fout un peu des courts, tout ce qu’on veut c’est voir Nicole Kidman. Qui a gagné la palme d’or du court métrage ? Je m’en souviens même plus – même si évidemment cela reste prestigieux.
Ma grosse chance a été South By Southwest (SxSW) à Austin. Les Etats-Unis sont un peu l’impénétrable des festivals, c’est très dur d’entrer dans le circuit, il faut être invité.
Vous dites que pour la direction des acteurs, vous vous êtes inspirée de la méthode de Xavier Dolan. Qu’est-ce que ça signifie concrètement ?
J’ai beaucoup appris avec Xavier comme actrice, et il y a une méthode qui me sied. C’est celle de la répétition : j’ai répété comme au théâtre. J’ai fait beaucoup de lectures. Et j’ai surtout eu la chance de travailler dans les lieux de tournage – ce qui permet aux actrices de prendre leurs marques dans l’espace.
Le truc qui est très Xavier, que j’applique et que j’aime beaucoup, c’est que je parle pendant les prises – enfin quand il y a un temps, quand je leur fais reprendre une réplique. C’est une direction très active.
La technique de votre film est particulière, il y a de véritables choix esthétiques. Quelles sont vos inspirations – notamment pour la scène du portrait de l’astronaute ?
J’en avais pas, juste je trouvais ça très drôle. La seule influence que j’ai c’est l’humour – les choses qui me font rire, qu’elles soient cinématographiques, télévisuelles ou pas.
Sinon techniquement – puisque je fais un film d’actrices, c’est vrai que je ne peux pas passer à côté de Woody Allen, John Cassavetes, même de Maïwenn qui est plus proche de Moyen-Âge. Des gens qui s’intéressent vraiment aux acteurs, qui les filment de près.
En tant qu’actrice, c’est important pour vous d’avoir une proximité avec le réalisateur ?
Ce qui est important c’est que le réalisateur me fasse confiance – et qu’il me donne confiance en moi. Après je peux faire n’importe quel type de jeu, je m’en fous. Ce qui importe c’est le travail en amont. Et en tant que réalisatrice c’est important pour moi que les acteurs se sentent bien, qu’ils se sentent épaulés. Quand je les choisis je leur fais confiance, mais je suis aussi exigeante et je les fais travailler comme des athlètes.
Votre film n’est pas un film de filles, c’est un film d’actrices, mais les hommes sont les grands absents.
C’est probablement un choix, c’est surtout parce que j’avais envie d’écrire pour ces actrices là qui sont toutes des copines formidables, j’avais envie de leur donner une partition.
Ce qui est marrant, c’est que la seule présence de garçon c’est la photo du jeune garçon. Et pour l’anecdote, c’est une photo du fils de Jean-Marc Vallée qui a fait C.R.A.Z.Y et Dallas Buyers Club. J’avais demandé à mon directeur artistique de trouver une photo d’un garçon de plus ou moins 16 ans, un peu style école secondaire, mais qui puisse faire qu’une femme, pendant une seconde, se demande : « est-ce que ce serait possible ?’ Non ce ne serait pas possible, mais quand même. » Une demi-seconde de brèche et d’émotion.
Votre film s’appelle « Quelqu’un d’extraordinaire », mais votre héroïne finit par blesser toutes ses amies. Est-ce que vous pensez qu’on peut faire le bien en faisant triompher l’honnêteté à tout prix?
Au contraire ! Moi je ne pense pas que mon personnage soit héroïque, elle n’a pas totalement raison de faire ce qu’elle fait. C’est ce que j’aime : comme dans la vie on n’est ni bon ni mauvais, on est nuancé, on est gris. On est parfois très bon avec des gens, et très mauvais avec d’autres : ça dépend de l’heure, de l’état d’âme. Elle a tort, et en même temps oui l’honnêteté a raison de se faire entendre.
« Extraordinaire », c’est dans le sens de « qui sort du centre ». L’ordinaire c’est ce qui est central, extra veut dire en dehors. Quelqu’un d’extraordinaire, c’est quelqu’un qui est exclu du centre étymologiquement et qui est aussi spécial. Elle fait quelque chose de bizarrement bien pour la mère et pour son fils et j’aime l’idée qu’on ne sache jamais qui est bon ou mauvais. Dans ma petite histoire à moi, la mère aussi est un peu bizarre qui malgré elle s’est retrouvée en banlieue et a élevé seule son fils. La figure de la mère est extraordinaire pour moi. J’ai joué avec tous ces sens là.