Décennie radicale : 1904-1914.
Aujourd’hui, les générations sont fascinées par la technologie, des écrans 3D aux smartphones, des GPS aux logiciels…Peut-on encore comprendre qu’au tout début du XXe siècle, ce fut l’art (et la peinture), qui était la référence ultime, le sommet du savoir faire de la civilisation ?
La France, avec ses impressionnistes, ses pointillistes, ses symbolistes, abordait le XXe siècle en première position de la création ! Avec cette confortable avance, quelques artistes éclairés allaient ouvrir la voie d’une avant-garde radicale.
D’abord, le fauvisme
D’où le titre de cette expo au Centre Pompidou, avec l’exemple d’un très grand méconnu : André Derain. Cet artiste très complet avait l’immense mérite de douter, et d’avancer sans cesse…S’il y a un père de l’art moderne c’est Derain et non Duchamp, son apport ayant été capital. D’abord, il inventa le fauvisme aux couleurs éclatantes, renvoyant l’impressionnisme au passé (il fut « fauve », plus structuré que Matisse, plus complet que Vlaminck).
Ensuite, il ne s’arrêta pas à son cubisme personnel, une sorte de « Cloisonnisme » très coloré (contrairement aux bruns de Braque puis de Picasso), car il doutait déjà et cherchait du côté d’un réalisme magique (ce qui fit dire à l’américaine Gertrud Stein, balourde et suiviste, qu’il ne rentabilisait pas ses inventions…!)
Ce fut lui seul qui expliqua le génie de Cézanne, la fuite des clichés, comment peindre la réalité sans sombrer dans les tics picturaux : notamment le fait génial de laisser des blancs de la toile, afin d’échapper aux habitudes et aux automatismes. Le non-fini comme issue !
Afrique, Asie, Océanie
Plus fou encore, il découvrit et admira les époques classiques de la peinture et en même temps, il lança les arts primitifs (Afrique, Asie, Océanie ! ) On lui doit cette intuition du modernisme des Arts premiers, et tous à sa suite exploitèrent le filon de la sculpture africaine, maori…
On pourrait ajouter la photographie qu’il a beaucoup pratiqué, et qui lui servait à essayer des cadrages , des perspectives et des premiers plans en peinture…Vous comprenez qu’un homme si changeant, curieux et varié jusqu’au paradoxe ne fut pas compris (comme Giorgio de Chirico). Voilà André Derain, admiré par Picasso (!) le copieur triomphant, et par tous ceux qu’i l’ont croisé comme Apollinaire, Matisse, Balthus, Giacometti (voir sur ce site les peintres sont méchants, en juin 2017). Et bien d’autres.
Il faut voir en l’occurrence ses débuts époustouflants, ses recherches parallèles : céramique, photos, écrits théoriques et aussi ses sculptures, car cet insatisfait , modeste et pessimiste, n’a jamais joué au maitre, ni cédé à aucune réussite ou concession, comme un explorateur, il n’a cessé d’avancer, de travailler, quitte à montrer ses « essais »…
N’étant ni intriguant, ni flatteur, et malgré la diversité de ses apports, il sema en route tous les esprits étroits, logiques ou superficiels, et continua seul, jusqu’à des nus et des peintures à l’ancienne, des natures mortes qui laissèrent les « amateurs » sur le bas-côté.
Vous verrez aussi ses peintures quasi symbolistes, hors époque, aux couleurs éclatantes, encore une étape admirable et à part. Il fut révolutionnaire, mais réfléchi et créatif, dès 1900 !!! Et ne cessa jamais de tout aborder avec courage et engagement, au-delà des règles.
André Derain. La décennie radicale : 1904-1914. Centre Pompidou, du 4 octobre au 29 Janvier 2018.
Visuels : (c)
La Chasse (L’Âge d’or, le paradis terrestre), 1938 – 1944 Huile sur papier marouflé sur toile, 274 x 479 cm MNAM/Centre Pompidou, Paris.
Don de Alice Derain et Aimé Maeght en 1962, en dépôt au Musée de l’Orangerie, Paris © Adagp, Paris 2017
La Danse, 1906, Huile sur toile, 185 x 228 cm Collection particulière
© Adagp, Paris 2017
Le séchage des voiles (Bateaux de pêche), 1905, Huile sur toile 82 x 101 cm, Musée des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou © Adagp, Paris 2017
Nu debout, [automne 1907], Pierre, 95 x 33 x 17 cm, MNAM/Centre Pompidou, Paris. Dation en 1994 © Adagp, Paris 2017