Deux arts successifs et opposés qui survivent envers et malgré tout
En exposant à la fois Art Nouveau et Art Déco à travers la peintre Tamara de Lempicka, la Pinacothèque fait preuve d’astuce et d’une certaine malice.
Et pour cause, l’Art Déco, moderniste et rectiligne voulait justement enterrer l’Art Nouveau, sinueux et féminin.
Deuxième astuce : comme l’Art Nouveau, Tamara de Lempicka fut très controversée de son temps. Le premier était traité de style nouille et la seconde de mondaine superficielle.
L’Art Nouveau lui aussi voulait se débarrasser des règles académiques, et se libérer de toute contrainte. Combat des anciens et des modernes. Basées sur la nature, les œuvres de Tamara utilisent plantes, feuilles, lianes, algues, insectes et en prime la femme, mais traitée comme plante décorative, ondulante et souple. C’était révolutionnaire !
Les entrées de métro de Guimard, les affiches de Mucha puis les vases de Gallé ou de Daum, les cristaux de Lalique…Toutes ces œuvres font encore la joie de collectionneurs et reviennent à la mode tous les 30 ans.
De 1895 à 1905 c’est l’apogée, la belle époque, Loïse Fuller danse avec des voiles, la belle Othéro fait l’orientale au théâtre, Mata Hari joue les espionnes, Arsène Lupin tombe dans les bras de la comtesse de Cagliostro, les décors se veulent raffinés, intemporels et exotiques.
Volupté, décadence, opium ou laudanum pour planer, l’art, la décoration, les objets, les affiches, tout doit concourir au déploiement sans fin d’un esprit lascif, décadent et érotique. On surcharge de plantes, de motifs, de détails.
Couleurs rabattues, matériaux précieux ou mélangés, des arabesques partout, les cheveux des femmes sur toiles ou affiches deviennent d’interminables algues flottantes : l’exotisme fait rage, les boudoirs regorgent d’objets, de vases aux tons aquatiques, les bijoux compliqués, presque égyptiens sont couverts de pierres dures aux couleurs de vase, d’étangs, de fonds marins.
C’est cette débauche qui a fait dire que l’Art Nouveau était réactionnaire, un art de marginaux morbides, décadents et névrosés !!!
Donc, dès 1910, le cubisme, le futurisme, l’orphisme, le suprématisme, le constructivisme… et l’Art Déco se veulent frais, modernes, francs, carrés et dynamiques. Le contraire absolu du précédent.
Tamara de Lempicka, mystérieuse polonaise arrivée de Russie, mariée à un aristocrate, va jouer le rôle parfait de garçonne libérée et mode, une artiste mondaine et cosmopolite.
Ses peintures célèbres montrent des femmes Art Déco, véritables sculptures neo-cubistes, plus proches de carrosseries d’avions ou de bolides automobiles que d’humaines, malgré une base classique.
C’est justement cette stylisation, ces portraits lisses, parfaits comme des statues, aux reliefs architecturaux, ou l’on sent l’influence du cubisme, du futurisme, qui ont fait son succès. On pense à Braque, Léger, Picasso, mais façon Art Déco.
Tamara de Lempicka, une pionnière dans la mobilisation à des fins artistiques de la mode, des revues et de la publicité, ne rechignait pas non plus à faire des scandales, pour faire parler d’elle et de sa peinture : flirt raté avec le célèbre Gabriele d’Annunzio, auteur à succès et prince italien, mais relations répétées avec des femmes, comme la chanteuse Suzy Solidor. Les années folles dans toute leur fantaisie stylée.
Ces deux expositions qui font dériver l’art et les formes vers la décoration, mais aussi les salons et les mondanités, l’invention des people et de la jet set sont assez troublantes.
Ces deux époques ont au moins le mérite d’avoir mis fin à l’académisme – l’art classique inspiré de l’ancien – et de l’avoir remplacé par le mélange, la fantaisie, les apports étrangers comme les estampes asiatiques. Cet élargissement de l’art purement plastique vers d’autres formes d’expressions – mode, photo, déco, allure, objets… – en fait l’ancêtre de l’art moderne.
Deux expositions, donc, aux styles ambigus, impurs, mais surtout envoûtants.
Jusqu’en septembre à la Pinacothèque de Paris (Place de la Madeleine).