La société de l’après spectacle…
Les éditions L’Échappée publient un gros livre de textes de spécialistes internationaux sur le célèbre auteur de La société du spectacle, Guy Debord, chef de file des situationnistes, accompagné d’extraits inédits de son travail et de ses notes.
Comment expliquer aux générations présentes la « folie politique et contestataire » qui s’est emparée des jeunesses mondiales, dès les années 50 jusqu’à l’apogée de la période 1967-1970 des manifestations ouvrières et étudiantes ?
Guy Debord faisait partie de ceux qui lançaient – avec les beatniks, existentialistes, militants, gauchistes, contestataires de tous bords – des anathèmes contre la société de consommation : marketée, bloquée, bêtifiante, inégalitaire … et catastrophique de vide ! Ils nous prévenaient des dangers du capitalisme sauvage et de la décadence d’un monde productif, sans pensée ni perspective autre que le profit des mastodontes et des multinationales.
Enfant des Dadaïstes puis des Lettristes, l’INTERNATIONALE SITUATIONNIISTE, qui comptait des membres dans toute l’Europe ne cessait d’agiter tracts, journaux et slogans contre le monde ! Leurs ennemis les traitaient de SIMILI TRUANDS du TERRORISME INTELLECTUEL, car ces révoltés ne manquaient pas de boire dans des bars, de trainer dans des quartiers qu’ils considéraient comme leurs îles de pirates, redessinés et codés par leur imaginaire.
Car les LETTRISTES leur avaient légué la poésie et la culture des TRANS AVANT GARDES en héritage. Ils avaient donc beaucoup lu, beaucoup vu et beaucoup bu aussi !
De Baudelaire à Villon, de Nietzsche à Marx, des Westerns aux Romans Policiers, sans oublier les théoriciens et les philosophes les plus radicaux, ils étaient les pionniers d’une culture jeune, sans frontière ni hiérarchie, censée reformater un monde à la dérive. Leurs héros pouvaient être LAUTREAMONT, ARTHUR CRAVAN, RIMBAUD, GEORGES BATAILLE … Mais aussi BALTASAR GRACIAN ou le CARDINAL DE RETZ, et tous les passionnés qui avaient combatu ou analysé la société de leur temps.
Ils en étaient arrivés à s’intéresser aux maudits comme GILLES DE RAIS, aux anarchistes comme la Bande à Bonnot, à la Bande Dessinée pour éduquer les esprits, au CINEMA, pour en changer les règles ! Leur plus belle idée était de publier un dictionnaire qui aurait traduit le SENS des mots dans la société contemporaine: leur déformation, leur aliénation par une société orientée, obsédée, aliénée par le profit à court terme. Il fallait comme REPARER les mots abimés !
Leur éditeur GÉRARD LEBOVICI, avec les éditions CHAMP LIBRE (qui leur étaient presque exclusivement consacrées !), était aussi producteur de films (Resnais, Truffaut, Rohmer…), impresario et mécène ! C’était une star, le père d’ARTMEDIA, actuelle première agence d’Europe ! Il sera mystérieusement assassiné en 1984, et avec lui c’est la fin d’une époque.. et des »SITUS » épuisés par le temps et les conflits.
Ce survol à réaction pour dire à quel point ces époques extrêmes, ces groupuscules pré et post 68 ont secoué la société, malgré leur petit nombre, mais forts de leurs théories audacieuses.
Et dans ces mouvements, la DÉSINVOLTURE, la distance, l’ironie ou l’INJURE alternent avec des dérives poétiques ou au contraire des décorticages politiques, le tout auréolé d’une certaine PARANOIA !
Le style de ces groupes se veut « sévère, froid, déterminé, menaçant, inflexible et élégant…» déclare Greil Marcus .
Voilà pourquoi ce livre de révision, d’inédits et de notes éparses donne bien le ton et l’ambiance, à la fois mégalomaniaque et isolationniste de ces révolutionnaires, et comme le dit l’intéressé : « Ce n’est pas parce que nous avons échoué que nous avions tort ».
LIRE DEBORD, avec les notes inédites de Guy Debord. Coordonné par Laurence Le Bras et Emmanuel Guy. Avec une quinzaine d’auteurs (dont Greil Marcus). Éditions L’Échappée. Collection Frankenstein. 25 euros. 440 pages.