Marocaine et Parisienne, cette poétesse de l’intime suggère aux parents de davantage « daroner en post-tribu », par mutualisation des compétences et des attentions, dans de grandes colocations. Ainsi, « fini l’enfant-roi, la mère poule et le père démissionnaire ! »
« Quand j’étais enceinte de ma fille, j’avais envie de lire des textes qui poseraient des mots crus, directs et précis sur l’expérience existentielle de la maternité. Je n’en ai pas trouvé. J’ai commencé à prendre des notes, c’est devenu L’eau du bain. » En 2019, Rim Battal publie aux éditions Supernova (promis, nous n’y sommes pour rien) le journal poétique de sa grossesse, de son accouchement et de ses premiers mois en tant que mère, en évoquant frontalement, par exemple, la douleur de l’épisiotomie. Elle raconte aussi d’autres pressions. « Vas-y Maman, avale-moi. Je reviens vers toi, molle, cuite à point. Sors les couverts, je vais te faire les petits-enfants dont tu rêves tant. Je te les léguerai dès la naissance. Ils t’appartiennent déjà. »
Née à Casablanca en 1987, diplômée de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris où elle vit depuis huit ans, Rim Battal a laissé tomber l’information et les médias traditionnels en 2012 pour tenter de faire entendre, pleinement, son regard de « féministe inconditionnelle » à travers ses textes, poèmes et photographies – tout en co-dirigeant le « Bordel de la Poésie », une série de rendez-vous feutrés dans des endroits élégants (du monde d’avant-la-pandémie) où, « habillée en putain d’un autre temps », il lui arrive de murmurer sa prose rose à l’oreille de spectateur.ice.s troublé.e.s ; cette pratique, dit-elle, a depuis « recouvert son travail d’une fine couche d’érotisme ».
En février dernier aux éditions du Castor Astral, Rim Battal a publié Les quatrains de l’all inclusive, composés dans un hôtel pour touristes « de masse » de Sardaigne, en vacances avec ses filles. Du bord de la piscine (qu’elle envisage de dynamiter : on y subit Despacito trois fois par jour), elle se pose parfois des questions vertigineuses : « Qui du maître ou de l’esclave / vit plus longtemps / vit plus heureux / vit plus vaillant / L’esclave connaît mieux le repos, le soleil et le contentement / Le maître est un mystère. » Avant de recommencer à interroger la parentalité : « Le parent a l’avantage d’être né avant / Il a ce coup d’avance des dieux / et comme les dieux essuiera tôt ou tard / la merde sur les murs de la foi qui détale. »
Grimpant à bord de L’Arche de Nova, Rim Battal suggère aux parents de davantage « daroner en post-tribu » par mutualisation des compétences et des attentions, dans de grandes colocations qui accueilleront aussi, outre des amis savamment choisis, des aîné.e.s ou des personnes dénuées de la moindre progéniture. Ainsi, « fini l’enfant-roi, la mère poule et le père démissionnaire ! » « Pour éviter que ne pèse sur deux personnes – et souvent sur une seule – la charge de maintenir en vie, soigner, éduquer, divertir un enfant ou deux ou trois », l’autrice marocaine conseille de partager les tâches au sens large et de mettre en commun « meubles et mètres carrés, jouets et vêtements » pour que les marmots puissent « courir, cuisiner, jardiner, apprendre une langue ou à coder », entourés d’autres adultes qui leur fourniront « d’autres modèles et une diversité de points de vue ». Conclusion savoureuse : « Pendant ce temps-là, les parents se réfugieront dans des boudoirs pour vaquer à des occupations plus personnelles. »
Réalisation : Mathieu Boudon.
Pour voir Rim Battal lire un extrait de L’eau du bain, c’est là : https://vimeo.com/388248675
Image : Le grand appartement, de Pascal Thomas (2006).