Les Delaunay et l’Orphisme : des ronds dans l’air !
Robert Delaunay (1885-1941) fut ce qu’on peut appeler un poète de la peinture. Chevaleresque et plein de foi, il a fait son chemin à côté des grandes écoles de l’Art moderne .
Juste à côté du fauvisme, du cubisme, des futuristes et autres suprématistes, Delaunay va chevaucher les engouements de son époque : dynamisme, modernisme, jeunisme, vitesse, sport et même aviation !
Toujours enthousiaste et inspiré, il va adapter le cubisme à sa vision poétique intuitive et, même s’il s’appuie sur de grandes théories analytiques et faussement scientifiques, cela l’aide à avancer.
Apollinaire baptise ORPHISME cette façon de peindre, en poussant au maximum la SIMULTANEITE, des formes, des couleurs en larges à plat de ton purs ou presque (bleu, rouge, jaune, vert et violet) puis des turquoise, rose ou noir viendront faire encore plus vibrer ses toiles.
Les plus connues ressemble à des CIBLES puis à des cibles juxtaposées, se chevauchant, en point de fuite vers le ciel ( comme dans les photos avec rayon de soleil sur l’objectif qui fait apparaître des cercles) . Delaunay aime l’espace, la lumière, la vibration des couleurs complémentaires.
On dirait qu’il a pris du LSD, qu’il cherche une persistance rétinienne par choc de pigments, de tons opposés, avec ces cercles concentriques ou inachevés. Sa série de fenêtres, qu’il appelle CONTRASTES SIMULTANES, sont des toiles sœurs des toiles cubistes, mais en tons colorés au lieu des bruns et ocres de Braque et Picasso.
Car voilà le credo de Delaunay : la couleur vibrante, organisée en RYTHMES, entre arc-en-ciel et cercles complets, dés 1912 .
Pour son bonheur, il va rencontrer son âme sœur SONIA qui va devenir épouse, mère et compagne de recherche et de peinture . Sonia va, avec talent , adapter le travail de Robert à la vie : affiche, puis imprimés, tissus, puis vêtements, objets de design abat – jours, et tous les accessoires de la maison et de la mode .
Tous deux sont passionnés. Ils ont été FAUVISTES, et dans ces toiles de CONTRASTES SIMULTANES…On peine à reconnaitre l’un et l’autre ! Ces motifs en cercles, cet éclatement de couleurs pures annoncent PIET MONDRIAN..
Ils sont amis des poètes Blaise Cendrars, Guillaume Apollinaire, et du peintre Kandinsky, un des premiers abstraits, correspondent avec Paul KLEE. Delaunay prendra pour motif la TOUR EIFFEL, qu’il peint façon post impressionniste, puis cubiste puis SIMULTANISTE, hommage à un symbole de modernisme.
Robert et Sonia DELAUNAY seront le couple « art moderne », sous le signe du dynamisme, de la couleur, des formes géométriques, comme deux directeurs artistiques d’une époque en plein progrès technique : l’avenir parait encore radieux.
Dans les années 20 et 30 ,ils se lient avec les surréalistes : Tristan Tzara, Breton, Philippe Soupault, puis Aragon, Cocteau, Stravinsky. Robert s’essaie à l’art décoratif avec Fernand LEGER. Mais en 1934, il revient à l’orphisme abstrait avec ses recherches de RYTHMES.. Inspirés par Mondrian .
De son côté Sonia multiplie les décors, panneaux, costumes de danse, de couture, elle ouvre sa boutique et crée des voitures peintes et décorées par elle : Bugatti, Citroën, Matra ! Elle ose de grandes formes géométriques sur vêtements.
Le couple Delaunay s’attaque à tous les sujets, même la publicité et utilisent le NEON pour des affiches. Pour l’exposition universelle de 1937, elle peint des panneaux décoratifs gigantesques, utilisant 50 peintres chômeurs ! Au salon de l’air, des avions de chasse sont suspendus au milieu des cercles chromatiques des Delaunay. Sonia avait peint moteur d’avion, hélices et tableau de bord .. Ses immenses panneaux annonçaient l’ART CINETIQUE .
Réfugiés à Mougins pendant la 2eme guerre, ils rassemblent leurs œuvres, travaux, recherches, apportent leur soutien au jeune Nicolas DE STAEL,( peintre aux larges touches colorés étalées au couteau). Mais Robert, de santé fragile meurt en 1941.
Sonia continuera les recherches et les contrastes colorés, géométriques, obéissant comme son mari au pouvoir de la lumière, grande révélatrice naturelle, sur tous les supports, variant les matières, les liants, les pigments.
Utilisant les rayures comme élément pictural fort, elle va influencer JASPER JOHNS ( le père du POP art) quand il peindra ses drapeaux américains !
Puis, toujours aussi active, après classement et rétrospectives ( Paris, Lyon, Lisbonne, Boston, Canada, Liège ..).., elle fera don de beaucoup d’oeuvres , afin que son mari soit reconnu et montré dans les grands musées français. Elle sera aussi honoré pour ses recherches de tissus au musée d’art et d’industrie de St Etienne.
Ayant traversé TOUT l’Art Moderne depuis les années 1910, en coup de vent dans toutes les directions, les Delaunay méritent une place spéciale de découvreurs enthousiastes et déterminants, frais et actifs, loin des rivalités intellectuelles.
Il faut aussi savoir que ce couple n’était pas doué pour la vente et la promotion de leur image (malgré ce que j’ai énuméré)… Les institutions se méfiaient de ces nouveaux iconoclastes aux toiles trop fantaisistes et colorées (Kandinsky subissait le même sort en France : les musées ne les achetaient pas!) et Sonia était traitée de « décoratrice », modes et arts mineurs…
Et ce sont ces femmes d’origine russes: Sonia Delaunay et Nina Kandinsky qui ont fini par imposer leurs hommes par des dons massifs aux musées frileux, qui eurent tant de mal à accepter l’Art Moderne !
(et ça, l’histoire de l’Art « oublie » souvent d’en parler …)
Jean ROUZAUD
_Sonia Delaunay ., « Le couleurs de l’abstraction « Musée d’Art Moderne de la ville de Paris . Avenue du président Wilson. Du 17 Octobre 2014 au 22 février 2015.
_Robert Delaunay . « Rythmes sans fin » . Centre Pompidou . Du 15 octobre 2014 au 12 janvier 2015.