Pour l’ouverture de l’année de la Chine à Guimet, le musée invite dans ses murs l’artiste et designeuse chinoise Jiang Qiong Er. À travers plusieurs installations monumentales, elle investit tous les espaces, de la façade à la terrasse, en réinterprétant subtilement les mythes chinois. Pour mieux comprendre la délicatesse de ses gestes et de ses interventions, un podcast Nova en 5 épisodes évoque sa manière de travailler et de relier l’art ancien chinois et les formes contemporaines.
Recouverte d’un voile de tulle rouge, la façade du musée Guimet annonce d’emblée la couleur de l’expérience promise au visiteur le temps de la présence dans ses murs de l’artiste et designeuse chinoise Jiang Qiong Er. Invitée par le musée à s’emparer de ses espaces pour en remodeler les visages et les surfaces, l’artiste, qui puise son inspiration dans les traditions artistiques de la Chine, s’est retrouvée ici comme un poisson (rouge) dans l’eau. Sa présence, incarnée par des interventions sensibles et sensuelles, habitées et animées, s’ajuste naturellement à l’histoire du lieu, tout en lui conférant une atmosphère particulière, entre émerveillement et étrangeté, expérience méditative et exercice de contemplation pure.
Née à Shanghai, autant artiste plasticienne que designeuse, Jiang Qiong Er est familière de la culture française depuis ses études à l’École nationale des arts décoratifs, mais aussi la création en 2013, avec Hermès, de la maison Shang Xia, dédiée à la création d’objets artisanaux asiatiques à travers un design contemporain. Artiste totale, elle porte une attention fine aux objets créés comme aux espaces où ils prennent place, aux mythologies qu’ils portent autant qu’à leur résonance dans nos vies actuelles. Beaucoup de ses créations font d’ailleurs partie des collections permanentes de grands musées occidentaux, comme le British Museum, le Victoria & Albert Museum ou le musée des Arts décoratifs.
Gardienne du temple des traditions culturelles de son pays natal, Jiang Qiong Er se fait ici l’apôtre des Gardiens du temps, titre de son installation disséminée dans cinq espaces emblématiques du musée, de la façade à la bibliothèque, de la rotonde à la terrasse, sans oublier le dôme. “Par l’envergure et la diversité de ses créations, conçues spécifiquement pour les espaces de Guimet, Jiang Qiong Er fait résonner à travers l’espace et le temps une vibrante tonalité chinoise qui transporte le visiteur en lui proposant, avec une immense générosité créative, d’entrer dans d’autres univers aux couleurs et aux parfums de la Chine”, se félicite Yannick Lintz, présidente du musée.
Le sens de sa présence tient aux affinités qu’elle imagine et auxquelles elle donne corps, entre des mythologies chinoises anciennes et des espaces contemporains accueillants. Tout son travail plastique se joue depuis des années sur ce tropisme symbiotique, sur cette manière qu’elle a de se rattacher à des temps immémoriaux tout en traquant leurs traces au cœur de la modernité. Comme s’il était possible de ne jamais couper le temps en segments, de ne jamais fracturer l’histoire en séquences pour envisager un continuum, un flux constant dans lequel chacun serait autant un citoyen familier des formes passées qu’un citoyen du XXIe siècle. La tradition et la technologie s’opposent moins qu’elles ne résonnent entre elles. Par ses gestes et ses interventions, Jiang Qiong Er se fait la garante de cette fusion qui a tout d’une effusion.
À la manière d’une artiste “ambient”, immergée à la fois dans le passé et la matière d’un lieu au présent, elle métamorphose le musée en cinq moments distincts. Dès la façade, elle imagine avec son voile rouge L’Origine, comme une sorte de statement de son projet : creusées au niveau des fenêtres, des grottes célèbres (grotte bibliothèque découverte à Mogao en Chine en 1900, grottes d’Altamira en Espagne ou de Lascaux en France) illuminent la façade.
Sur le seuil des grottes, douze créatures fantastiques inspirées de légendes chinoises apparaissent, comme un écho aux douze signes du zodiaque. Ces créatures hybrides, syncrétiques, combinées à l’aide de l’intelligence artificielle, véhiculent toutes des messages précis, spirituels, censés rétablir l’esprit humain dans sa plénitude. De l’authenticité à la fraternité, de l’inclusion à la paix, de l’égalité à la bienveillance, de la bravoure à la sagesse, les grandes règles éthiques de la culture chinoise s’exposent dans leur simplicité formelle.
Dans la rotonde de l’entrée, les colonnes sont elles aussi parées de rouge, à travers un nuancier de tons reflétant autant de variations poétiques. Après cette Initiation, le visiteur prolonge son expérience au premier étage en découvrant dans la bibliothèque historique une installation visuelle et sonore, Douze appels, dans laquelle les douze créatures mythiques sont réunies en un cercle invitant au recueillement et au retour critique sur soi.
Montant encore d’un niveau les marches du palais, le visiteur se prêtera (à partir de fin mai) à un autre type d’expérience sur la terrasse végétalisée : l’installation Sa voix – La Bravoure déploiera un filet au-dessus du toit du musée, sur lequel sera brodée la parole poétique de soixante femmes chinoises, en utilisant une nouvelle “écriture féminine” inspirée du très vieux nu shu, seul système d’écriture au monde créé et utilisé exclusivement par des femmes.
Le parcours s’achève dans la rotonde du 4e étage avec une Introspection, proposée autour d’un jardin de pierres minérales. Ce lieu sera tout au long de l’année un espace-temps de communion, ouvert aux lectures de poèmes, aux rencontres, aux rituels d’écoute musicale dont l’opéra chinois, mais aussi aux cérémonies du thé. Un voyage spatio-temporel dans le rêve chinois dont Jiang Qiong Er excave les mythes et les souvenirs pour les faire vibrer au présent, dans l’environnement idéal du musée Guimet qui les abrite amicalement. Une esthétique dont la sobriété conditionne l’excès expérientiel, un paysage mental dont le vide ouvre au plein des sens.
Exposition Gardiens du Temps au Musée national des arts asiatiques-Guimet du 27 avril 2024 à février 2025. Plus d’infos ici.