L’ONG demande au comité d’éthique de la chaîne de se saisir de l’affaire.
Consacré aux manifestations contre le président Faure Gnassingbé au Togo, le documentaire Togo : Lâche le trône a été diffusé sur Canal + le 15 octobre dernier. Il traite d’une révolte togolaise, réprimée par le pouvoir. Depuis quelques mois, une partie de la population s’oppose à la volonté du président de briguer un quatrième mandat, et descend dans la rue. La répression policière est violente. Faure Gnassingbé est le fils de Gnassingbé Eyadema, lui-même président de 1967 à 2005. La famille détient donc le pouvoir depuis cinquante ans.
C’en est trop pour les togolais, et L’effet Papillon était sur le terrain pour filmer leur colère. Le documentaire est diffusé sur l’antenne de Canal. Peu de temps après sa diffusion, il disparait des plateformes de la chaîne. Plus de replay, aucune rediffusion, plus de trace sur canalplus.fr. Selon les déclarations de sources internes à Arrêts sur Images, « des instructions ont été données en interne » pour effacer toute trace du programme. Seul signe de vie, une diffusion « accidentelle » sur Canal+ Afrique. Par ailleurs, deux salariés sont écartés du groupe.
Coïncidence ?
Il s’avère que Faure Gnassingbé est un proche de Vincent Bolloré, le patron de Canal. Comme le rappelait Arrêts sur Images le 24 novembre dernier, « Logistique portuaire, télécommunications, transport ferroviaire, stockage d’électricité… au Togo, le groupe de l’industriel breton s’est depuis longtemps vu ouvrir les portes de tous les secteurs stratégiques du pays. » Le groupe Bolloré détient même « le principal poumon économique du pays, le terminal à conteneurs du port de Lomé. » Par ailleurs, une filiale du groupe s’est occupée de la campagne de sa réélection en 2010.
Bolloré ne s’est jamais caché de vouloir exercer un contrôle éditorial sur Canal+. Il l’a rachetée en 2015 et s’est empressé d’en décimer les équipes. Quelques semaines plus tard, un scandale du même acabit frappait l’antenne. Un documentaire révélant le système d’évasion fiscale du Crédit Mutuel est déprogrammé. Surprise, la banque est proche du groupe Vivendi. Les auteurs du documentaire déposeront une plainte contre la chaîne.
RSF s’agace
Dans le cas de Lâche le trône, c’est plutôt la résilience qui semble au rendez-vous. Dans un article publié sur le site de Reporters sans frontières, un contact anonyme explique que « Les équipes ont compris que, désormais à Canal, on ne parle ni des riches, ni des banques, ni de l’Afrique. » C’en est trop pour l’ONG, garante de la liberté de la presse. RSF monte au créneau et demande au comité d’éthique de la chaîne de se saisir de ce qui ressemble fort à un cas de censure.
« Pourquoi le comité d’éthique de Canal+ n’a-t-il pas encore été saisi de ce cas et quand le sera-t-il ? », se demande Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. « Ce n’est malheureusement pas la première fois que la direction de Canal+ déprogramme un documentaire ou un reportage préalablement approuvé par la rédaction, mais qui se révèle de nature à déplaire aux partenaires privilégiés du principal actionnaire de la chaîne. Nous demandons au comité d’éthique de se saisir au plus vite de cette affaire et de s’assurer que les intérêts du groupe Bolloré n’interfèrent pas avec l’indépendance du média qu’il dirige. »
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