Ah, les saisons… En compulsant nos collections, nos dossiers et le détail de nos bases, on pourrait trouver l’album Out of Season de Beth Gibbons et Rustin Man, mais aussi « Season of the Witch » (Donovan), « Season of the Shark » (Yo La Tengo), « Time of the Season » (The Zombies), « The Season » (Nas), « Seasons (Waiting on you) » (Future Islands), « Every Season » (Tony Allen ft. Damon Albarn), « Seasons » (Earth & Fire), « La Saison de l’Amour » (Balladur), « Off Season » (Joy Orbison), « Season for Change » (Ronny Jordan), sans oublier les Quatre Saisons vivaldiennes revues par Max Richter, les Four Seasons de Frankie Valli ou encore High Season, le projet de Chloé Thévenin et Ben Shemie. Bref, quand il est question de saison(s), Nova a quelques billes dans la cartouchière.
C’est pourtant un tout autre barda qu’il nous faut saisir pour parler de la nouvelle saison proposée par l’Institut des Afriques. Danse, littérature, rencontres, spectacles : assurément, il y aura là quelques rendez-vous qui viendront renflouer le contenu dodu de notre agenda.
Commençons par évoquer la venue de l’écrivain ivoirien Gauz. Auteur de Debout Payé, de Cocoaïans ou encore, l’année dernière, des Portes, il présentera un compendium de ses ouvrages, ainsi que quelques paragraphes inédits, rédigés, rythmés, fignolés pendant sa résidence à la Villa Valmont.
Et, avant ça, le samedi 5 avril à Darwin, il s’alliera à l’universitaire Élara Bertho pour une conférence performée à deux voix baptisée Miriam Makeba et Stokely Carmichael à Conakry. L’évènement-pivot de cette création documentaire, il est dans le titre, c’est la venue en Guinée, à l’invitation de Sekou Touré, d’un couple alors ciblé par le FBI et la CIA : celui formé par la grande chanteuse sud-africaine Miriam Makeba et par la figure du Black Panther Party qu’était Stokely Carmichael. Il était 1969 – année où Gil Scott-Heron (dont on reparlera) écrivait « Whitey on the Moon ».
Récit d’un moment historique, d’un point nodal où se croisent l’art et l’activisme, la musique et la politique, racontant tout à la fois la violence des années 60 et 70 (avec ses cabales et ses assassinats ; ne dites jamais que c’était mieux avant, ou Malcolm X, Ben Barka, Lumumba, Luther King, Fred Hampton, Bobby Hutton, Sylvanus Olympio ou Henri Curiel viendront vous hanter) et les formidables utopies politiques (panafricanisme, afroféminisme, socialisme non-aligné, etc.) qui y ont pris graine, racine, avec des fortunes diverses mais un héritage à (re)découvrir.
Legs intellectuel toujours, le vendredi 11 avril à la Médiathèque de Canéjan en compagnie de Paulette Nardal et ses soeurs Émilie, Alice, Jane, Cécile, Lucie et Andrée. Compagnie spirituelle et sororale, le temps d’un femmage (c’est comme un hommage, mais pour une ou des femmes) à ces autrices, musiciennes et salonnières martiniquaises, têtes pensantes d’une négritude en cours d’élaboration, tant dans les théories que dans les pratiques.
Leur salon de Clamart fédéra les discussions et les débats autour de la condition afro-descendante ; un bouillon de culture dont La Revue du Monde Noir, publication bilingue fondée en 1931, fut l’émanation et le porte-voix. Un engagement et des contributions, longtemps négligées, que l’anthologie Écrire le monde noir, publiée aux éditions Ròt-Bò-Krik, met aujourd’hui entre toutes les mains. Et les oreilles, ici, grâce à la lecture de ces textes par les lecteur.rice.s de la bibliothèque, encadré.e.s par la comédienne et metteuse en scène Hélène Capelle.
Des questions, insondables, impossibles, insolubles, des confrontations brutales ou insidieuses avec tout un cortège d’angoisses, éveillées, réveillées par le deuil d’un être cher : c’est le sujet que traverse et qui traverse la pièce solo d’Agathe Djokam Tamo, nommé À qui le tour ?, jouée (dans le cadre du programme Corps Engagés) le vendredi 21 mars au Glob bordelais et la semaine suivante, le samedi 29 mars, à l’Espace Bernard Giraudeau de La Rochelle.
Du choc à la colère, puis de la résignation à la renaissance, la chorégraphe camerounaise y invite le public à déambuler dans ces différents états psychosomatiques, à suivre ce travail de deuil entrepris vaille que vaille pour ne pas perdre pied. La douleur exsude, s’exprime, se partage, afin de faire naître, alchimique issue de cette oeuvre au noir, une sympathie collective – car, étymologiquement, sympathie veut dire « souffrir avec », « partager la douleur de ».
Et enfin, citons la rencontre avec l’écrivain franco-djiboutien Abdourahman Waberi. Prenez vos agendas à la date du jeudi 5 juin, pour filer à la Bibliothèque Mériadeck. C’est que voilà du rendez-vous littéraire à ne négliger sous aucun prétexte.
Car, depuis l’orée des années 90, où ses premiers livres furent publiés aux fondamentales éditions du Serpent à Plumes, Abdourahman Waberi est l’auteur d’une oeuvre dense, romanesque, poétique ; une prose d’étonnant voyageur qui a fait sien le bocage normand, Washington et Djibouti (ce « confetti de l’Empire français » au coeur du polyphonique Balbala), sans oublier les « souvenirs caramels » qui le rattachent à Addis-Abeba.
Une oeuvre dont on n’a pas fini de faire le tour, parmi laquelle on pourra choisir, selon son plaisir, Aux États-Unis d’Afrique, fable renversant non sans malice les rapports de dominations économiques et géopolitiques comme les perspectives eurocentrées, les « variations romanesques » menées d’un soleil à l’autre par Rift Routes Rails (quel titre !), ou encore La Divine Chanson, ode à l’immense Gil Scott-Heron renommé ici Sammy Kamau-Williams – ou « Sammy l’Enchanteur » -, travaillé par le style lumineux de Waberi, par la fiction, via les yeux d’un vieux chat roux.
Ce printemps ne dérogera pas à la règle : on suivra volontiers, sans affres, l’Institut des Afriques.
Saison 2025 de l’Institut des Afriques @ Bordeaux. Plus d’infos sur https://institutdesafriques.org/blog/saison-idaf-2025/