Co-organisatrice du festival Afriques en vision (dont on vous avait parlé ici-même), l’Institut des Afriques n’en a pas que pour les salles obscures et l’art qu’on dit septième. N’en déplaise à Godard, on peut parler d’autre chose que de cinéma. Toucher à la littérature, à la danse contemporaine, au slam, à la photographie, à l’histoire, à la diversité des expressions culturelles et à l’engagement citoyen, au gré d’une programmation volontiers curieuse, éclectique, voyageuse, voilà ce que l’association néo-aquitaine entreprendra de soutenir durant les semaines et les mois qui viennent, du côté de Bordeaux, La Rochelle, Lormont, Pessac, Bègles ou encore Poitiers.
À Poitiers, tiens. Au pied de la cathédrale chère à Aliénor, du côté de l’Espace Mendès-France. C’est là que jusqu’à la mi-mars l’on pourra découvrir, scruter, s’illuminer la rétine grâce aux photos choisies par une exposition nommée « African Workplaces ». Une exposition qui sera ensuite installée à la Bibliothèque des Capucins, où, là aussi, sans peur du strabisme, elle dirigera simultanément son regard dans deux directions : sur le sujet des images (le travail en Afrique) et sur la façon dont celui-ci est objectifié par les faiseur.se.s d’image (quels angles, quelles visions, quelles scènes attirent l’attention des artistes, reporters et documentaristes ? Bref, la fabrique d’un cliché, à tous les sens du terme).
Croisant les feux de la réflexion scientifique, des tentatives esthétiques, des interrogations politiques, l’expo se penchera, sans exosquelettes, sur les manières de faire, de part et d’autre de l’objectif. De visites guidées en masterclasses, les photographes seront invités par les curatrices de l’expo – Chloé Josse-Durand et Constance Perrin-Joly – à expliquer leurs pratiques, détailler leurs visions du travail, du continent africain et de l’articulation de ces deux sujets ; des photographes, mais aussi le documentariste Tom Durand et Guilhaume Trille, réalisateur, monteur et animateur pour Télé Millevaches, la doyenne (installée à Faux-la-Montagne, dans la Creuse) des télés associatives.
On peut également évoquer, de retour à Bordeaux, cette soirée du 2 mai prévue à la Halle des Douves. Qu’y a-t-il donc ? Voici la réponse : un dialogue performé à trois voix (Taina Tervonen, Élara Bertho et Patricia Houéfa Grange), une fusion de débat, de théâtre et de lecture, autour du livre Les Otages de Taina Tervonen.
Dans cet ouvrage publié aux excellentes éditions Marchialy, l’autrice franco-finlandaise fait la « contre-histoire d’un butin colonial », à savoir le trésor – bijoux, manuscrits, armes et ustensiles – de l’Empire Toucouleur, pillé par un colonel français à la prise de Ségou en 1890. Alors que sa restitution est réclamée depuis des années par le Sénégal, la France ergote, finasse, fait la sourde oreille, rétive pour des raisons aussi bien idéologiques, juridiques que d’un désarmant prosaïsme – une grande partie de ce trésor a tout simplement été égaré, perdu, volé, détruit au fil des décennies (cambriolages, incendies, négligences d’inventaires, bombardements de la Seconde Guerre Mondiale, etc.).
« Je ne peux m’empêcher de penser à une des nombreuses objections formulées contre les restitutions, écrit Tervonen. Les États africains qui réclament les œuvres ne seraient pas en mesure de les protéger contre les vols et les trafics. » Une condescendance postcoloniale, héritière larvée (et parfois inconsciente) de la domination coloniale, que Tervonen expose et bat en brèche, en retraçant l’histoire nébuleuse et tumultueuse de ces objets raptés, éloquents témoins, pour qui veut bien tirer le fil de cette histoire souvent tue, de la violence des relations symboliques, culturelles, historiques entre la France et ses (anciennes) colonies.
Littérature toujours, un peu plus tôt sur les calendriers (ce sera le jeudi 23 mars), du côté de la Médiathèque Jacques Ellul, à Pessac. C’est là qu’un hommage appuyé sera rendu à l’une des grandes plumes de la littérature africaine, l’auteur sénégalais Léopold Sédar Senghor. Si son action politique (il fut président du Sénégal pendant vingt ans) fut loin d’être exempte de tout reproche, son oeuvre poétique conserve elle un charme plus certain, une indéniable puissance, un symbolisme incantatoire prônant la fédération métissée des cultures, des esprits, des intelligences.
Des mots qui seront lus, entonnés, incarnés par quelques voix du Comité de Lecture Pessac-Kinshasa et de l’Union des Travailleurs Sénégalais de la Gironde ; des voix accompagnées, comme lors des déclamations des griot.te.s, par les notes grattés à la kora par Baila Soumaré. Le tout ponctué, afin d’élargir le cadre, d’éclairer le contexte, de faire bonne mesure entre l’art et l’artiste, le texte et le paratexte, l’Histoire et les histoires par des interventions d’Elara Bertho, chercheuse au CNRS et biographe de Senghor – laquelle sera aussi le 6 avril à la Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges pour présenter son ouvrage, tout juste publié aux éditions PUF (et non, sa couverture n’est pas celle ci-dessous, même si elle en jette).
Et puis, malgré tout, il y aura dans ce semestre de la Saison de l’Institut des Afriques 2023 pas mal de cinéma. Des séances où il sera question de fiction et de réel, de dialogue transcontinental, d’art et de choses vécues. De spectres et de cauchemars, de l’esclavage, du cynisme cruel de la globalisation européo-centrée, des navires négriers aux ventres maudits racontés par Les Contes de la cale, un film mais aussi un livre de Fabienne Kanor (au Musée d’Aquitaine le 16 mai). D’acculturation coloniale et de réminiscences traditionnelles, aussi, de communication avec les limbes et de résurgence d’une culture traquée, comme dans Sur le fil du Zénith de la réalisatrice belge d’origine gabonaise Natyvel Pontalier (projeté à l’Utopia le 12 avril).
L’Institut des Afriques vous offrira également un détour par les appétissants fumets des cuisines afro-descendantes, le dimanche 2 avril, lors d’une après-midi cinéphile et gourmande au Musée d’Aquitaine, avec visionnage du Bouillon d’Awara, documentaire réalisé par César et Marie-Clémence Paes, couple de cinéastes franco-brésilo-malgache qui seront présent.e.s lors de cette séance, suivie d’une dégustation du fameux bouillon d’awara, spécialité guyanaise préparée par la cheffe guyano-centrafricaine Ursula Médaille, du restaurant solidaire Marie Curry.
C’est dire que vous ne manquerez pas de réjouissantes occasions pour placer un évènement parrainé par cette Saison de l’Institut des Afriques dans votre agenda. Et après quelques diligents furetages sur le site de l’IdAf (où le programme est détaillé in extenso), pour prendre date afin d’aménager et d’infléchir de belle manière vos perspectives de sorties, d’échanges, de découvertes.
Saison de l’Institut des Afriques @ Bordeaux, Poitiers, etc. Plus d’informations sur https://institutdesafriques.org/agenda/.