[Archive.] Toute sa vie, le surréaliste peintre catalan tressa des lauriers aux « beautés terrifiantes » de son compatriote Antoni Gaudí, créateur de la Sagrada Família ou de structures « aussi visqueuses qu’un foie de veau ».
« Dresser des tours de chair et d’os à vif dans le ciel vivant par excellence de notre Méditerranée, telle a été l’architecture de Gaudí. » En 1933, Salvador Dalí érige un cryptique et mystérieux palace de mots et de louanges à son compatriote catalan, Antoni Gaudí, créateur de la mythique Sagrada Família de Barcelone, disparu sept ans plus tôt. Publié dans la revue Minotaure avec des photographies de Man Ray, son article, intitulé De la beauté terrifiante et comestible de l’architecture modern style, exprime le désir d’une architecture « phénoménale » qui reposerait essentiellement sur une « dépression très accentuée de l’activité raisonnante, allant jusqu’aux confins de la débilité mentale », une « imbécilité lyrique positive », « échappement, liberté, développement des mécanismes inconscients », « grande névrose d’enfance, refuge dans un monde idéal, haine de la réalité », « folie des grandeurs, mégalomanie perverse », « besoin et sentiment du merveilleux et originalité hyper-esthétique », « impudeur absolue de l’orgueil, exhibitionnisme frénétique du caprice », « aucune notion de mesure », « réalisation de désirs solidifiés », « éclosion majestueuse aux tendances érotiques ».
Où sont aujourd’hui les « maisons pour les fous vivants » réclamées par le peintre surréaliste à moustache qui rebique ? Ces « tartes et gâteaux ornementaux » ? Ces « grottes aux tendres portes en foie de veau » ? La « dynamique-asymétrique » de ce style « gothique méditerranéen » capable de se « métamorphoser », « par une certaine fantaisie involontaire », « en hellénique, en extrême-oriental, en Renaissance » ? L’édifice de mes connaissances en architecture contemporaine est bien trop fragile pour répondre à la question. Réécoutons alors Dalí, via ce montage de deux interviews télévisées de 1958 et 1964, tresser des lauriers à Gaudí.
(P.-S. : Une exposition « immersive » baptisée Gaudí, architecte de l’imaginaire, créée par le studio Cutback et visible jusqu’en janvier 2022 vient de s’ouvrir aux Ateliers de Paris, 38 rue Saint-Maur dans le 11e arrondissement. Le prospectus annonce : « Par un jeu de matières et de lumières, l’Atelier prend les formes de voûtes hyperboliques, de piliers obliques, de façades ondulées et s’ornent de motifs organiques et de mosaïques de verre et céramique. En une dizaine de minutes, au rythme des courbes musicales de Gershwin, le matin se lève sur le parc Güell, éclairant le visiteur au milieu des moulures ou chapiteaux mais surtout de la texture des rochers, du parfum des plantes, de la couleur des fleurs, du chant des oiseaux. » Et les foies de veau, caramba ?)
Réalisation : Mathieu Boudon.
Pour écouter la précédente archive du futur, avec Marguerite Duras, c’est là : https://www.nova.fr/news/marguerite-duras-demain-tout-recommencera-par-une-indiscipline-140475-04-05-2021/
Tableau : Réminiscence archéologique de l’Angelus de Millet, de Salvador Dalí (1934).