C’est la première DJ à lancer la techno en Palestine et à se faire une renommée internationale. Aussi militante culturelle intrépide, Sama’ Abdulhadi est à l’affiche du Peacock Society samedi soir au parc floral de Paris.
Skywalker from Ramallah
À ses tout premiers débuts, elle signe ses morceaux sous le nom de Skywalker sans réaliser qu’un prétendu Luke lui volerait la vedette dans le référencement Google. Sama’ Abdulhadi est née en 1990 en Jordanie. Ses parents n’ont pu retourner chez eux, à Ramallah en Cisjordanie, que lorsqu’elle a eu cinq ans. C’est dans cette ville qu’elle organisera, à 20 ans, ses premières soirées électro.
Pionnière : « Personne ne comprenait ce que je faisais »
Elle a 15 ans lorsque son pays sort à peine de la Seconde intifada, qui l’a plongé dans une guerre de cinq ans contre l’armée israélienne. Les années 2000 sont les années hip-hop en Palestine et Sama prend l’habitude d’amener des CD en soirée, pour les jouer aux copains, tenter de les distraire des mauvaises nouvelles qui tournent à la télévision. Cette génération-là a grandi dans une idée de survie permanente. Les amis de Sama veulent être médecins, policiers, aider la communauté. Pour elle, la démarche est la même, mais par le biais de la musique.
Lorsqu’elle se rappelle sa toute première soirée, elle explique que “personne ne comprenait ce que je faisais, et tout le monde est parti. Après trois tentatives ratées, j’ai fini par rencontrer la scène électro qui émergeait au même moment à Haïfa, en Israël.”
Elle était précurseure, inspirée par ce qu’elle avait vu à Beyrouth où elle était passée pour ses études en 2008. Tous les week-ends, elle danse sur les sets de DJs venus du monde entier et ça, elle ne l’avait jamais vu en Palestine.
Sa mère était activiste pour les droits des femmes et son père la pousse à suivre ses désirs de mix. Il l’encourage à aller étudier un an en Jordanie l’ingénierie du son puis à l’école SAE à Londres en 2011. Deux ans plus tard, direction l’Égypte. C’est là qu’elle découvre une facette “underground” de la musique arabe qu’elle boudait jusqu’ici.
« Beating Wound », être Palestinienne
Déjà, en 2014 Sama’ Abdulhadi transformait et dénonçait la violence du conflit israélo-palestinien avec le morceau « Beating Wound » produit à partir de bruits de bombes.
Depuis le 7 octobre 2023, les vagues de haine sont nombreuses contre la DJ. Dans une interview pour Libération, elle témoigne :
“Quand tu es Palestinienne, tu l’es aux yeux d’absolument tout le monde. Si tu exprimes tes idées, que tu défends ton pays, tu t’exposes obligatoirement. »
Elle s’est fait un nom grâce à une Boiler Room en Palestine en 2018 et se voit propulsée au rang de techno queen palestinienne.
Aujourd’hui, elle met à profit son statut pour soutenir des artistes palestinien‧nes avec par exemple la création de sa propre boite d’édition d’artistes de Palestine, du Liban, d’Égypte et de Jordanie.
En 2019, elle a aussi fondé avec d’autres artistes palestiniens le collectif Electrosteen16. Un projet qui reprend la musique folklorique palestinienne et y ajoute une touche techno, hip-hop ou reggae. Il y a aussi une salle de Ramallah baptisée Union, qui sert d’incubateur aux DJs, aux producteur·rices et aux créateur·rices.
« Les soirées là-bas sont différentes parce qu’elles peuvent toutes être la dernière »
Elle retourne souvent jouer à Ramallah, conservant un indéfectible amour pour les fêtes électroniques locales, même si ces derniers temps les allers-retours sont difficiles, voire impossible à organiser.
« Les soirées là-bas sont différentes parce qu’elles peuvent toutes être la dernière. Quand on commence à danser, on sait qu’on aura peut-être toute la nuit, mais que ça peut ne durer que dix minutes, la police peut débarquer. Il n’y a donc pas de temps à perdre, il faut danser, maintenant ou jamais. »
C’est donc une chance de la voir passer à Paris samedi, à la Peacock Society puisque le lendemain, elle s’envole déjà pour Lisbonne, puis pour Londres, Francfort, Amsterdam ou Ibiza.
Retrouvez, ici, notre interview de Sama en 2017 à la Gaîté Lyrique à Paris, son passage dans nos locaux pour un Worldmix dans Néo Géo et son set en Nova Mix Club. (Oui, on l’aime beaucoup.)
Dans sa série Pionnières, Clémentine Spiler conseillait aussi Palestine Underground, l’excellent documentaire de Boiler Room sur la scène techno et hip hop underground en Palestine.