En bavant devant un clip de Public Enemy sortie d’une cassette importée de New York, en zappant sur un reportage sur le hip-hop outre-atlantique à la télé, ou en déchirant une photo d’un magazine The Source exfiltré des States… peu importe comment c’est arrivé, les membres de la sphère hip-hop francophone des années 80 ont toutes et tous vécus le premier contact visuel d’avec le style et l’attitude rap de la même manière, comme un choc esthétique imprimé pour toujours sur la rétine.
Comme toute personne qui veut montrer son appartenance à un mouvement, et prouver aux autres que moi aussi j’en suis , les corps attachés à ces mirettes impressionnées veulent adopter le style de leurs nouvelles idoles. Problème, les casquettes Kangol, les gros lacets épais et les ceintures nameplate (c’est-à-dire les ceintures où tu pouvais écrire ton nom dans la boucle) sont introuvables sur l’hexagone. Du moins jusqu’au jour où un magasin rhabille une scène hip-hop francophone encore balbutiante avec un stock pêché à la source. Ce shop, c’est Ticaret, carrefour mythique des débuts du rap en France, aujourd’hui raconté dans un podcast en 3 parties.
La garde-robe du hip-hop francophone
C’est dur à imaginer de nos jours, quand il faut juste “ajouter au panier” des baskets vendues aux États-Unis pour les recevoir dans la semaine, mais à l’aube des années 80, quand NTM n’as pas encore traumatisé l’opinion publique et quand ceux qui feront bientôt le hip-hop français se réunissent au terrain vague de la chapelle pour les bloc parties de Dee Nasty, choper la même casquette que Chuck-D, ça relève du fantasme. Celles et ceux qui sont allés à New-York en reviennent les bras chargés de trésors convoités, avec parfois, summum du cool, leur blaze de graffeur en guise de boucle de ceinture. Celui que l’on appellera bientôt « Dan de Ticaret » fréquente ce fameux terrain vague, il a été breakdancer sur à Ibiza avec DJ Fab, et… n’a pas du tout envie de vendre des sapes hip-hop.
Attention, Dan travaillait bien dans une adresse de fringues, mais se spécialiser dans l’attitude hip-hop, ça ne lui disait rien, aussi surprenant que cela puisse paraitre quand on connait la suite. Comme il l’explique dans le premier épisode de Sape My People, c’est après avoir cédé à l’insistance de ses potes qu’il organise la première livraison de précieux cargo. Quand il s’aperçoit qu’un de ses clients est venue depuis la Belgique pour lui acheter une boucle de ceinture, il comprend qu’il tient un bon filon. Logique, un shop à Paris, c’est plus proche qu’un shop à New-York.
Des rayons mis en son
Lyon, Marseille, Bruxelles… c’est tout le hip-hop francophone qui afflue vers cette boutique du 19e arrondissement, où l’on peut passer commande pour choper des articles sourcés pas trop loin de la statue de la liberté, mais aussi poser les yeux sur d’autres accessoires phares du mouvement, bombes de peinture, flyer de soirées, places de concerts, posters… Celles et ceux qui écoutent du rap, comme celles et ceux qui font le rap francophone, fréquentent la boutique et y échangent des mots et des mixtapes.
Des rencontres y ont lieu, des collaborations s’y sont nouées. Ticaret et ses rayons forment alors un carrefour incontournable pour la communauté hip-hop, foulé par Booba, Cut Killer, DJ Mehdi… Avec « Sape My People » (podcast en 3 épisodes) Nique La Radio et Ground Control retracent l’histoire de cette garde-robe du rap français. Idéal pour passer la mythologie d’une culture à celles et ceux qui l’ont découvert plus tard, et pour faire remonter des souvenirs aux nostalgiques. À écouter en astiquant sa vieille paire de Nike.