Images cartoonesques pour public averti.
Une perche à selfie transformée en revolver. Des hommes sans bras portant un tee-shirt « Free Hugs ». Un chasseur poignardant un gamin déguisé en crocodile. Un pendu qui n’oublie pas le selfie, le sourire aux lèvres, songeant à ses amitiés 2.0…Cet été, la Galerie Arts Factory – rue de Charonne à Paris – expose les images gores, punks, satiriques et misanthropes de Joan Cornellà, cet artiste barcelonais que l’on a découvert il y a environ 7 ans via Facebook, Twitter, Instagram, et ses réseaux sociaux que l’artiste, pas à un paradoxe près, déteste cordialement…
Laurent Zorzin, cofondateur de la galerie Arts Factory avec Effi Milld, a lui aussi découvert le travail du Catalan sur Facebook & co, où son travail sacrément méchant, s’est alors diffusé comme une trainée de poudre, rappelant aux plus anciens les ricanements sanguinolents d’Happy Tree Friends, et offrant aux plus jeunes une vision pas forcément très positive du monde tel qu’il se consomme aujourd’hui. Consumérisme exacerbé, racisme primitif, pédophilie dégueu, narcissisme 2.0, et des symboles qui se répètent (les hommes à cravate, les sourires gravés sur le visage, des gamins en robes courtes, du sang partout…) au service d’une satire qui n’épargne personne. Et qui fait rire tout le monde.
Devenu illustrateur superstar grâce à la puissance d’un médium qu’il condamne, le Barcelonais a dû diversifier ses moyens de diffusion, afin d’exister davantage encore. S’en est suivi l’édition d’albums (dont les deux derniers, Fracasa Mejor et Zonzo, sont autoproduits), l’adaptation de certaines de ses planches via vidéo, et l’exposition, désormais, de ses travaux en galerie. À Arts Factory, et après une « tournée » asiatique (Bangkok, Shanghai, Hong Kong) sur les quatre niveaux que comprend le lieu, on y présente ainsi planches originales, vidéos au sous-sol, et quelques peintures présentant, cette fois, une image qu’il s’avère nécessaire de lire seule. Le tout, quasiment rétrospectif, offre une vision globale de la production d’un artiste qui, chose peu commune, parle autant à un public adepte d’art graphique et d’illustration à plusieurs lectures qu’à un public bien plus jeune, suffisamment malin et mature pour piger le message véhiculé par ces images-là :
« Avec cette exposition, on s’est retrouvés face à un public que l’on n’est pas forcément habitué à recevoir à la galerie, et qui a priori n’est pas non plus habitué à se déplacer en galerie…Depuis le début, on reçoit en effet un public parfois très jeune, des collégiens et des lycéens, qui ont découvert le travail de Cornellà sur Instagram, Facebook ou Snapchat. Lors du vernissage, le public plus ‘connaisseur’ habitué de la galerie s’est presque trouvé noyé dans ce très gros flux ! »
Des jeunes, des moins jeunes, une fréquentation largement augmentée du lieu, et un sentiment unanime : à Arts Factory, cet été, on se marre. Beaucoup parfois. Car les planches du Catalan, bonne nouvelle, fonctionnent aussi bien sur le flux sans fin d’un réseaux social que sur les murs lactés d’une galerie branchée du XIe arrondissement. Ça se bidonne, ça repart avec un album ou une image de Cornellà (certaines sont a prix très très abordables), ça repart avec l’impression de s’être posé quelques questions. Et ça n’oublie pas, non plus, de prendre quelques jolies photos, avec filtres qui rendent lisses. Qu’on poste sur Instagram et sur Twitter. Histoire de se mordre, quand même, un peu la queue.
Joan Cornellà, Paris Solo Show, Galerie Arts Factory, 27 rue de Charonne, Paris XIe. Jusqu’au 26 août 2017.
Visuels : (c) Joan Cornellà