GM Éditions publie un guide qui retrace les décennies 60 et 70 à travers les disques des artistes afro-américains qui les ont rythmées et bouleversé les codes de représentation des personnes noires dans la société américaine et dans le monde.
« Le musicien noir est un reflet du peuple noir, en tant que phénomène culturel et social. […] Les Noirs, par la violence de leurs luttes, sont le seul espoir de sauver l’Amérique. » ces mots d’Archie Shepp, saxophoniste incontournable du jazz américain, donne le ton de ce guide qui épluche la bande-son afro-américaine de 1960 à 79. Ces dates ne sont pas choisies au hasard.
En 1960, le mouvement des droits civiques porté par des figures comme Martin Luther King arrive à son acmé. Trois ans plus tard, King partagera son rêve devant un parterre de manifestants à Wahsington. En 1979, le disco, genre musical pailleté, incarné et produit en grande partie par des afro-américains, domine les charts. 79, ce sont aussi les premiers succès du hip-hop avec le Rapper’s Delight de Sugarhill Gang, concocté comme beaucoup de tubes du tsunami rap qui s’annonce, sur une base de funk, de soul, de jazz… de musiques noires.
Say It Loud décrypte 80 disques qui ont accompagné ces deux décennies de transformation du statut des afro-américains dans la société étasunienne, d’oubliés du rêve américains à conquérants des ondes et de la pop. Nova vous recommande cinq albums dans cette sélection, pour garder le poing levé, et pour faire onduler le bassin, aussi.
The Supremes – More Hits by the Supremes
Lancé par Berry Gordy, songwriter, vétéran de la guerre de Corée et qui descend par son grand-père de l’union d’un propriétaire de plantation et d’une esclave, la maison Motown est un label politique par essence. Après les premiers succès des Miracles et de Smokey Robinson dans les années 50, Motown devient dans les années 60 une machine à hit incarné par des artistes afro-américains. Dans le sillage des Marvelettes et de leur « Please Mr Postman », The Supremes devient l’un des groupes les plus importants de la décennie. Propulsé par un son pop limpide, le groupe harcelle le top 100 Billboard à coup de tubes. The Supremes est aussi l’écrin qui révélera Diana Ross, dont la voix sera bientôt l’un des symboles des années Disco, et offrira l’un des anthem les plus durables de la bande-son américaine « I’m Coming Out », particulièrement célébré dans la communauté gay américaine.
James Brown – Say It Loud, I’m Black and I’m Proud
En 1968, quand ce brûlot embrase les bacs de disques, des actes racistes secouent tous les recoins de l’Amérique, les membres du jeune Black Panther Party sont traqués et meurent pour leurs idées, et Martin Luther King a été assassiné, enterré et pleuré depuis des mois. C’est dans ce contexte qu’un chœur d’enfant s’époumone « I’m black and I’m proud ! » face à un James Brown qui leur adresse un « Say It Loud! ». Comprendre, dites-le fièrement, vous êtes noirs et vous êtes fiers de l’être, vous êtes noir et vous n’avez pas honte. Ce cri fait écho depuis lors dans la bande-son étasunienne, en particulier chez les afro-américains qui portent les luttent au micro. Chuck D. de Public Enemy en sait quelque chose : « “Say It Loud – I’m Black and I’m Proud” est un disque qui m’a vraiment convaincu de dire que j’étais noir au lieu d’être un nègre. À l’époque, on appelait les Noirs des nègres (negroes), mais James a dit qu’on pouvait le dire haut et fort : qu’être noir est une chose formidable au lieu de devoir s’en excuser». C’est un monument de l’identité noire américaine.
Roy Ayers – Coffy is the Color
Certainement pas le plus connu de la sélection, mais un son important dans l’histoire de notre radio, car il a longtemps été le morceau de la « bande d’arrêt d’urgence». Si sur notre antenne, un silence dure plus de cinq secondes, un disque se lance automatiquement pour nous venir à la rescousse, comme l’héroïne d’un film d’action qui couperait le détonateur d’une bombe à quelques secondes de l’explosion. « Coffy is the Color » est un thème composé par Roy Ayers pour le thriller d’action Coffy qui suit les aventures d’une infirmière devenue justicière dans un Los Angeles dominé par les narcotrafiquants. Un film culte de la blackxploitation, période des années 70 où Hollywood met en premier rôle des protagonistes noirs et représente sur grand écran des manières de s’habiller, de parler, de vivre auparavant invisibilisées. Le son est un des éléments les plus importants de ce mouvement, et il n’est pas rare que des bandes originales de films, comme ce «Coffy» ou le «Shaft» d’Isaac Hayes, prolongent leur existence à la radio et dans les clubs.
Al Green – Let’s Stay Together
Utiliser la puissance vocale du Rythm & Blues, dont les thèmes ont longtemps été limités aux louanges adressées au très haut, ou à la description de la condition de l’homme noir dans un pays qui l’écrase, pour parler d’amour. C’était un geste puissant, qui séparait les plus conservateurs des auditeurs et chanteurs, et celles et ceux qui allait incarner un renouveau. Al Green appartient à la seconde catégorie. Personne ne chante la passion comme lui, et ses textes scintillants de charme se font la bande-son des couples afro-américains (mais pas que) qui vivent le bonheur simple, mais durement obtenu, de s’aimer normalement et publiquement dans la société américaine.
Donna Summer – Love to Love You Baby
Il est facile de résumer le disco à un genre de musique hédoniste, né pour rythmer les clubs, et pour donner des raisons aux danseurs de préférer les nuits aux jours. Les orgasmes simulés de Donna Summer sur ce Love To Love You Baby, orchestré par l’Italien Giorgio Moroder, semblent aller dans ce sens. Cela serait oublier la portée politique inhérente d’un genre dominant les charts majoritairement incarné par des personnes noires, qui traduit en son le slogan «Black is Beautiful», et qui place au centre du propos leur amour, leur désir, leur plaisir, alors que quelques années plus tôt, le vote leur était encore interdit, par des lois discriminatrices. Donna Summer est l’une des reines de l’ère disco, trônant sur les dancefloor new-yorkais, et dont les tubes (comme le « I Feel Love » chouchou d’un certain Laurent Garnier, ex-programmateur de notre antenne) collent des frissons à des générations d’auditeurs.
« Say it Loud » : un guide édité par la Fnac GM Éditions, avec les plumes de Sophie Rosemont et d’Olivier Cachin. Dans la même collection, retrouvez “Latin Fever”, volume concentré sur les trésors musicaux du continent sud-américain.