Un nouveau lieu éphémère, un hommage à Steve Maia Caniço et un line up flamboyant… retour sur le week-end de clôture du festival électro nantais.
Du 12 au 22 septembre se tenait à Nantes la dix-huitième édition du festival Scopitone. Cette année, le festival des musiques électroniques et des arts numériques se tenait non pas au Stéréolux, mais un poil plus au Sud de l’Île de Nantes, au Min, l’ancien Marché d’intérêt national (longtemps le deuxième plus grand marché destiné aux professionnels après celui de Rungis) qui a fermé ses portes en mars dernier et dont la destruction prochaine laissera place au nouveau CHU nantais. Il n’en fallait pas plus à Scopitone et le collectif Stereolux, qui l’organise, pour sauter sur l’occasion.
Festival d’intérêt national
« Ça fait longtemps qu’on tanne la mairie et la métropole pour essayer de trouver des friches », raconte Jean-Michel Dupas, programmateur musical du festival. « Le Min avait arrêté son activité en mars et est voué à être détruit en novembre, il y avait une fenêtre de tir pour nous. » Il a donc fallu s’adapter, investir, et (re)donner vie à ce lieu atypique, sans pour autant le dénaturer. Les enseignes des vendeurs sont restées arroches aux façades, par exemple, et les expositions d’arts numériques ont été installées dans les anciens frigos, de grandes pièces blanches et insonorisées qui s’y prêtaient parfaitement. Les trois scènes, quant à elles, se sont montées sous les grandes halles, offrant des espaces facilement accessibles et en même temps abrités, car il pleut souvent sur Nantes – vous connaissez la chanson.
Hommage à Steve Maia Caniço
Il n’y a pas que le temps qui est maussade à Nantes en ce moment. La situation politique de la métropole est tendue. En cette période pré-électorale, les Gilets jaunes ont supplanté les manifestants anti-aéroport et perpétuent la grande tradition insurrectionnelle nantaise. Mais surtout, la ville est en deuil et en colère depuis la fête de la musique, le 21 juin dernier, lors de laquelle est survenue la mort de Steve Maia Caniço, tombé dans la Loire pendant une intervention policière que tous les témoins s’accordent à décrire comme « disproportionnée ».
Ce soir-là, c’est sur le quai du Président Wilson, à quelques pas seulement du Min, que se tenait une free party à laquelle la police a voulu mettre fin, sur les coups quatre heures du matin. Une très courte négociation infructueuse aurait donné lieu à une charge policière à base de lacrymos et de grenades de désencerclement qui a provoqué plusieurs chutes dans le fleuve, dont, probablement, celle de Steve. C’est du moins ce que l’enquête en cours devrait confirmer ou infirmer. Une enquête que les Nantais espèrent impartiale, mais dont les premiers éléments tendent à montrer qu’elle sera tout sauf cela.
Difficile, donc, pour Scopitone, de ne pas évoquer cette triste actualité. Le festival l’a fait d’entrée de jeu, doublant le panneau de bienvenue aux portes du Min d’un deuxième intitulé : « À propos de la mort de Steve Maia Caniço ». On pouvait y lire un message sobre mais engagé qui s’associait à la douleur de la famille du jeune homme, déplorait une intervention inappropriée et réaffirmait son engagement pour « le partage et la concorde ».
« Comme tout le monde, nous pensons que cette intervention était disproportionnée. »
« C’était important pour nous de faire ce message parce que c’est arrivé lors d’une soirée où l’on jouait de la musique électronique. Comme tout le monde, nous pensons que cette intervention était disproportionnée. », s’alarme Jean-Michel Dupas. « Mais on est aussi désabusés, parce qu’on pense que les vrais coupables ne seront jamais punis. Et pourtant il y en a des coupables. Un commissaire, un préfet, qui ont donné l’ordre de charger. »
La mort de Steve a aussi impacté l’organisation du festival. « Cette édition nous a coûté beaucoup plus cher que d’habitude », explique Jean-Michel Dupas, « parce que la mairie et la préfecture étaient complètement paranos, on nous a imposé des normes de sécurité complètement disproportionnées, notamment une sécurisation des bras de Loire dont certains étaient à plus d’un kilomètre du festival. »
La fête, la révolte, la fête, la révolte, la fête
La colère et la tristesse sont partagées, même si l’heure est à la fête en ce week-end de clôture, lorsqu’on passe les portes de Scopitone pour assister aux deux soirées du 20 et 21 septembre, qui fermeront cette édition du festival. Parfois, entre deux éclats de rire, les voix se brisent ou s’agacent pour évoquer le drame, que personne ne veut ignorer. « Ça aurait pu être moi », nous glisse-t-on, lorsqu’on demande si la mort de Steve Maia Caniço impacte le goût de la fête, surtout lorsqu’elle se tient si près des lieux du drame. « Mais ce soit ça ne changera pas notre manière de faire la fête, pas dans un événement officiel, organisé, où la police ne débarquera pas. »
Dans les murs du Min ce soir-là, on pense à Steve, mais surtout, on pense à être vivant, à danser, à boire et à aller secouer la tête et tout ce qui y est attaché sur une programmation fougueuse et pointue, de Kompromat à Molecule en passant par Camion Bazar, Crystallmess, NSDOS et Casual Gabberz.
Rendez-vous des fidèles
On croise de nombreux habitués dans ce public scopitonien. Sixième, neuvième, dixième édition pour certains. Les nouveautés de cette année font débat chez les aficionados. Le lieu, d’abord, que certains trouvent « plein de charme », « beaucoup plus brut », « un peu trop grand », « un bête d’endroit ».
Par ailleurs, si le festival est plus long cette année (il dure dix jours, contre quatre habituellement), les nuits sont plus courtes. À 1h30, on coupe, on range, on ferme, contre quatre ou cinq heures du matin lors des éditions précédentes. « Ça fait chier pour les gens normaux », dit Benoît, croisé à la sortie du set de Miley Serious, qui vient d’enflammer la Scène Nord et son îlot rond entouré d’un public compact qui acclame la DJ originaire de Montauban et boss du label 99cts.
Benoît et ses amis se souviennent en bons nantais des nuits à L’Olympic, dont l’équipe, une dizaine de potes, a monté Scopitone il y a une petite vingtaine d’années. « On a l’air de vieux cons, à parler de l’Olympic », rit Claire. « On est toujours nostalgiques des débuts. Mais en vérité le festival est resté pointu, c’est toujours une occasion de faire plein de découvertes musicales. Moi j’aime bien l’idée se faire jouer plein d’artistes en même temps », continue la jeune femme « de toutes façons je ne regarde jamais un set de bout en bout. J’aime bien me déplacer entre les scènes ». C’est d’ailleurs ce qu’elle est en train de faire et on laisse la petite troupe rejoindre la scène Sud, à quelques mètres, devant laquelle une large majorité des festivaliers s’est réunie pour Kompromat, le duo français formé par RBK Warrior et Vitalic qui rend hommage à la techno berlinoise avec un nom russe, allez comprendre.
Il n’y a rien à comprendre mais seulement des oreilles à ouvrir en grand et une tête à secouer devant Kompromat et la voix majestueuse de Rebeka qui, fait rare, fait sonner l’allemand comme le chant d’un rossignol, juste avant d’aller suer ses dernières gouttes devant le set de Crystallmess, la reine de l’afrofuturisme tout de cuir violet vêtue, qui prend le relais de Miley Serious. Il n’y a pas à dire, les meufs ont enflammé ce vendredi soir, à commencer par Sara Zinger en début de soirée.
« Un peu d’amour à côté de la rage »
Croisés le samedi, d’autres participants ont adopté cette technique des allers-retours entre les scènes, mais se sont vus confrontés à une sacrée schizophrénie musicale entre le joyeux set du prodige lyonnais Folamour au Nord et l’énorme teuf déconseillée aux épileptiques de Casual Gabberz au Sud. « C’est normal, vu la taille des scènes, ils ne pouvaient pas faire autrement que de faire jouer tout le monde en même temps. C’est pas grave, on fait des allers-retours ! Faut juste être bien accrochés ! », lance Tom qui nous prête au passage ses lunettes kaléidoscope qui font apparaître des coeurs dans les centaines de faisceaux lumineux qui habillent le set hardcore du groupe parisien.
Il y a beaucoup d’amour ce samedi soir à Scopitone, « Un peu d’amour à côté de la rage, parce que si t’as que la rage tu vas crever » comme l’expliquent à la foule les petits rigolos de Casual Gabberz avant de faire grimper les BPM jusqu’à tard dans la nuit. Plus la soirée avance et plus les kids s’agglutinent en petit groupe au centre du Min, se roulent des clopes et d’autres trucs, s’arrêtent à mi-chemin dans leurs allers-retours entre Sud et Nord puisque les points cardinaux n’ont plus vraiment d’importance à cette heure. « Franchement c’est mieux que les nefs du Stéréolux », nous dit Sarah. « Là bas on se marchait dessus. Ici on peut s’asseoir tranquille, pour attendre la suite, surtout que ce truc de malade là [Casual Gabberz, ndlr] c’est bien trop vénère pour moi. »
Tant mieux, puisque selon les dires de Jean-Michel Dupas, Scopitone pourrait réitérer l’expérience de la friche lors de ses prochaines éditions. Enfin, peut-être pas la prochaine, le temps de se remettre de ses émotions. « On a vraiment puisé dans nos ressources financières pour pouvoir faire cette édition. Elle était unique et éphémère, comme un hors-série. On n’aura pas les reins solides pour refaire ça tous les ans mais on en est très heureux. »
Visuels © Clémentine Spiler