Auteur d’un « Atlas des monstres connus et méconnus », ce dessinateur argentin se plonge dans les archives de la trop brève république révolutionnaire de Valadonie (1924-1930), qui luttait contre la routine en valorisant la « déconnaissance ».
« Un corps d’oiseau et une tête de singe. Un corps trop doux, une tête trop pensante et beaucoup de rage. » Il apparaît, fragile, au milieu de l’Atlas des monstres connus et méconnus conçu par l’auteur et dessinateur argentin Sergio Aquindo, publié en 2020 aux éditions du Chêne. Un inventaire d’horribles et malheureuses créatures, piochées dans le cinéma thaïlandais ou la mythologie mapuche, dans « l’Interzone » de William Burroughs ou Le Banquet de Platon, comme si les monstres innombrables que Franquin dessinait pour se détendre entre deux albums de Gaston Lagaffe étaient réunis pour un colloque dans les cercles concentriques de l’Enfer de Dante. D’une précision de zoologue surréaliste, croquant à trait fin ses bestioles dans des plans de coupe scientifiques ou dans d’inquiétants tableaux, Aquindo y exhume donc une pauvre chose, le piaf-macaque, tiré d’Êtres et bêtes de la pampa, signé en 1882 de son mystérieux compatriote Alfonso Espinosa y Cano.
« Une tête qui plonge et traîne par terre, des ailes vaines, un plumage infesté de vermine. Incapable de voler, de chasser ou de bâtir un nid, de grimper aux arbres pour cueillir des fruits ou fuir les prédateurs, le monopaharo vit perpétuellement dans la faim et la crainte, ce qui le rend furieux et méchant. Il mange au hasard (il pourrait manger de la terre ou éventrer un nourrisson). Il ne vivra pas longtemps. On le chasse, le brime, on l’enferme. Il est venu au monde à la fois condamné et sans défense. »
Quelle leçon tirer du lourd singe ailé ? Ne faudrait-il pas le « déconnaître » pour mieux le comprendre ? Prenons pour cela la direction de la trop brève république révolutionnaire de Valadonie (1924-1930), à laquelle Sergio Aquindo consacrera son prochain livre, en mêlant ses croquis aux archives de cette utopie concrète qui échafaudait des « fortifications fraternelles démontables et mobiles, pour rendre inutiles les limites du royaume », une « bibliothèque des rêves, classés par thèmes, langues, classes sociales », une drôle de pratique du football « improvisé » et plus généralement des gestes sportifs « et philosophiques » contenus dans le simple fait de réapprendre à s’asseoir sur une chaise, prendre son bain ou marcher dans la rue, « routines » odieuses qu’il convient de « déconnaître ».
Installé à Paris depuis 2001, dessinateur régulier du journal Le Monde, l’artiste nous livre en avant-première des fragments très enthousiasmants de ses recherches sur cette contrée utopique. ¡ Gracias !
Réalisation : Mathieu Boudon.
Image : Huit et demi, de Federico Fellini (1963).