Un polar social anglais change les règles pour passer de la religion de l’argent à Il était une foi.
Il est assez étonnant que personne ne soit encore penché sur la mythologie qu’a bâtie en une quarantaine d’années le cinéma britannique autour des gangsters à l’anglaise. Bien plus que le film noir américain, cette production est allée chercher derrière le sensationnalisme de la violence ou de la criminalité, des histoires d’ascension sociale chez les prolos, de rêves d’aristocratie chez les lads. De Get Carter au récent Dom Hemingway, ce cinéma a dessiné la pègre made in UK comme une cour des miracles ou règnent les anti-héros à l’accent cockney
Andrew Hulme y a été nourri dans sa première carrière, celle de monteur : il a travaillé sur des films comme Gangster n°1, Slevin ou la trilogie Red Riding, tous unis par un regard de biais, ironique ou glaçant sur ces bas-fonds et leurs personnages hauts en couleurs. Il était sans doute écrit qu’il resterait dans le même secteur avec, Snow in Paradise, son premier film de réalisateur.
Comme ses modèles, Snow in Paradise écarte une vision romantique, enluminée du monde des voyous, en s’inspirant du parcours de Martin Askew, petite frappe ayant joué des coudes dans les rues du quartier d’Hoxton avant de s’agenouiller sur des tapis de prières dans des mosquées.
Loin d’une image glamourisée, d’une apologie de la vie et l’argent facile, Snow in Paradise enfonce rapidement le clou avec le quotidien de Dave, jeune gars qui idéalise son oncle Jimmy, caïd qui a fait sa place dans le Milieu. Espérant grimper les échelons, Dave est son homme à tout faire, notamment faire l’échange entre sacs de dope et de pognon. Rongeant son frein, il décide de se lancer en solo, piquant un kilo de coke dans un des sacs pensant que personne ne va le remarquer.
Sauf que si. Et l’addition va être salée, à commencer par la vie de Tariq, meilleur pote de Dave. Qui va être pris entre deux feux : son oncle qui doit lui apprendre qu’on ne truande pas la pègre et la culpabilité d’avoir indirectement fait tuer son ami.
Snow in Paradise aurait pu s’arrêter là et être une bonne histoire de marlou traqué par son propre milieu. Hulme l’emmène ailleurs en s’intéressant à la crise de conscience de Dave, qui va le pousser non pas à la rédemption, mais à la spiritualité. Tout en respectant un certain quota de violence inhérent à son registre, Snow in Paradise, glisse du film noir urbain à un conte moral étonnamment contemporain, quand il raconte aussi les fissures du système britannique face au libéralisme et à l’immigration.
A travers les tourments, les égarements de Dave, rongé par ses regrets et sa colère, Snow in Paradise met peu à peu le monde criminel au second plan, lui préférant une autre catharsis, et aller sur un terrain plus intime. Il n’est plus question de prêche sur le Bien ou le Mal, mais du chemin de ce type perdu vers une paix intérieure via une conversion à l’Islam.
Au delà d’être un bon film de gangsters, en sortant dans une période ou le religieux devient un sujet explosif, Snow in Paradise prend l’inattendu détour d’un film pacifié, prônant les vertus rassérénantes de l’Islam. Même si on frôle parfois un côté cousu de fil blanc, le nouveau venu Frederick Schmidt arrive à la fois à rendre crédible l’aspect d’âme perdue de Dave et ses accès de violence. Une colossale révélation d’acteur provoquant le même choc que les débuts de Tom Hardy (Bronson, La taupe, le prochain Mad Max…), il y a quelques années. Schmidt est de cette trempe là.
L’autre surprise de Snow in Paradise, atténuant elle aussi un petit côté béni oui-oui, est de découvrir au générique que l’Oncle Jimmy est interprété par Martin Askew. Que ce converti incarne avec une telle conviction, un redoutable gangster sans foi ni loi, impose une densification du propos, rappeler à quel point la notion de morale personnelle est une chose complexe, ou que l’idée de radicalisation n’est pas qu’une question de religion.
En explorant les dégâts, profonds ou collatéraux, de celle du profit, Snow in Paradise, calme la psychose du moment et appelle à élargir le débat d’une manière plus constructive.
En salles le 4 mars