À Memphis, l’héritage du label Stax est autant culturel que politique.
Qu’est-ce qui vient immédiatement en tête quand on parle de Memphis, Tennessee ? La musique évidemment. C’est là-bas que l’héritage d’Elvis perdure dans le manoir de Graceland, là-bas que s’est noyé Jeff Buckley.
Memphis, c’est aussi un des berceaux du blues. Peut-être bien parce que c’est historiquement une des villes américaines les plus pauvres. Elle a pourtant enrichi dans les années 60, la musique mondiale en devenant le creuset de la soul, entre autres avec la création de Stax, label qui règnera en maître sur le Rythm’n’blues alignant tube éternel sur tube éternel. L’histoire de Stax s’est arrêtée en 1989, quand ces studios furent rasés. Elle renaît en 2000 avec l’installation au même endroit d’une école de musique qui donne des cours gratuits aux adolescents.
À la Stax Music Academy on apprend bien plus que la musique. Si Soul Kids swingue sur les morceaux d’Otis Redding, Sam & Dav, Issac Hayes et bien d’autres, réinterprétés par des gamins, le documentaire d’Hugo Sobelman fait entendre une voix plus profonde, celle d’un enseignement civique à l’heure de l’Amérique post-Trump. Dans cette école pas comme les autres, on élabore la construction personnelle des élèves en leur proposant de s’affirmer en dehors d’une stigmatisation de la classe pauvre ou noire. En s’extrayant d’un formatage social. Mais aussi à quel point ils s’inscrivent dans une histoire, quand les paroles des chansons d’hier, chantées par des mômes d’aujourd’hui portent le même discours, les mêmes complaintes.
Soul Kids se refuse pour autant à prendre le pli de la colère. Il s’essaie à une alternative militante qu’on aurait presque oubliée dans une époque ou seuls ceux qui éructent se font entendre : la possibilité d’un débat argumenté, pondéré, voire parfois teinté d’autocritique.
Soul kids donne des fourmis dans les pieds à chaque séquence musicale, mais fait surtout danser les neurones dans celles d’échanges entre professeurs et élèves, partageant leur expérience du vécu où le souvenir de figures historiques d’un combat pour les droits civiques qui n’a en fait jamais cessé.
À l’heure où la musique qui se fait le plus entendre chez nous est celle d’une offre politique particulièrement médiocre, qui a accordé ses violons autour d’une pensée aussi réductrice que nauséabonde, assurant que le plus grand dénominateur commun est la division ; une scène, parmi d’autres, de Soul Kids ou des enseignants apprennent à des mômes qu’ils ont de la valeur et la nécessité d’une écoute commune pacifiée, devient essentielle. Tout comme ce documentaire refaisant les gammes d’une pédagogie collective plus que jamais nécéssaire pour réinvestir pleinement la lutte des classes. Celle qui se joue donc ici dès l’école.