Saga fantasque d’une romance contrariée par le destin, un film étonnant venu d’Europe de l’Est, qui dérègle les boussoles pour ne pas perdre le nord.
Un film, c’est forcément une question de point de vue et celui de Sous le ciel de Koutaïssi s’affirme d’emblée comme différent. Alors que son titre appelle à lever les yeux vers les nuages, Alexandre Koberidze y fait se percuter Lisa et Giorgi pour un coup de foudre, tout en filmant ses deux personnages principaux au niveau de leurs chevilles. Et ce n’est qu’un petit aperçu du goût pour la bifurcation de cet étonnant film géorgien.
Tout est bousculé, décalé, à commencer par les codes de la comédie romantique, immédiatement contrecarrée par une superstition. Lisa se convainquant que son histoire d’amour est maudite et qu’elle ne pourra plus jamais revoir Giorgi. Sous le ciel de Koutaïssi en prend acte et décide donc de digresser au sens ultra ludique du terme. Que ce soit par une voix-off narratrice des plus taquine ou des sauts périlleux théoriques. Par exemple en étant composé de saynètes aussi courtes, alors que le film s’embarque lui dans une saga de près de deux heures et demie.
Il y a une sérieuse science de la folie douce dans Sous le ciel de Koutaïssi, dans son envie de dérégler les boussoles, de rallier le travail printanier et solaire d’un Eric Rohmer autour de la valse des sentiments et le burlesque le plus hirsute. Et de se laisser aller au situationnisme quand, entre autres exemples, cette voix-off décidément mutine incitera le spectateur à fermer les yeux pour ne pas assister à une scène qu’elle estime trop embarrassante. Ou en laissant un faux-documentaire faire irruption dans sa fiction ultra-romanesque.
Sous le ciel de Koutaïssi installe ainsi ce qui manque à la plupart des films, une personnalité forte et des airs de liberté.
Mais même ça, c’est probablement un trompe-l’œil, quand ce qui a les traits d’un désinvolte coq à l’âne cache une concrète précision. Une véritable orfèvrerie de mécanique au service des trous d’air d’un récit fantasque, imbriquant harmonieusement les élucubrations délirantes et des réflexions aussi incisives que pertinentes sur la marche du monde. Et on peut y voir une forme philosophie lorsque Sous le ciel de Koutaïssi oppose aux absurdités d’une époque qui ne tourne pas très rond, sa propre logique rêveuse, particulièrement charmeuse, et encore plus quand elle se révèle être une proposition d’utopie sensée, beaucoup moins naïve que ses apparences.
Un film singulier, une invitation à aller vers d’autres récits, à retrouver en salle à partir du 23 février.