La chronique de Jean Rouzaud.
Le label londonien Soul Jazz Records continue d’explorer les strates de la culture jamaïcaine, avec dix-sept titres rares des ténors de la culture renaissante, après l’indépendance de l’île (1962) et la visite d’Hailé Sélassié, l’ancien empereur d’Éthiopie (1966).
Sous domination anglaise, seul Calypso, Mento et un Ska naissant avaient eu droit de cité. Les communautés Rastas d’après-guerre étaient pourchassées par la Police jamaïcaine pour sédition…
Quand la reconnexion « african roots » fait merveille
L’île va entrer dans une période de libération culturelle dans laquelle les racines africaines reprennent leurs droits, les labels se multiplient pour absorber une quantité de talents, tous issus des mêmes quartiers de Kingston…La reconnexion « african roots » va faire merveille.
Le fait que des musiciens en vue comme les Skatalites ou les Wailers se rapprochent de la culture rastafarienne et des origines éthiopiennes et bibliques – même fantasmées – va déclencher une véritable vague.
C’est cette prise de conscience africaine, – après le Ska et surtout les Rocksteady, encore trempé dans le son des radios américaines – qui va enclencher le Reggae et une véritable renaissance musicale.
Studio One, petit mais tenace
Un homme comme Clement « Coxsone » Dodd et son label Studio One, petit mais tenace, proche des garçons des rues, des quartiers et de tout ce qui compte comme musiciens et percussionnistes, va fédérer tous ceux qui suivent ce basculement.
L’inspiration explose, autour de Jah, déité Rastafarienne, de Sélassié empereur, de Zion terre promise, du mouvement spirituel Rastafarien, en guerre contre Babylon et ses vices : retour à la terre et aux invocations.
Studio One a ouvert ses portes à tous les talents, y compris Rastas qui convertissent 90% des artistes. Les ténors soutiennent le mouvement : Alton Ellis, Jackie Mitoo, Horace Andy…
La souplesse du Studio One vient de la fluidité des groupes et musiciens : tout le monde travaille avec tout le monde et les rôles changent pour le meilleur des productions.
Autour de 1970, les bases du mouvement et de sa musique vont se poser pour longtemps
L’inspiration est générale et reprend les épisodes de l’histoire : l’Exode, l’esclavage, les « marrons » , esclaves héroïques ayant résisté dans des enclaves, mais aussi les vibrations mystiques, entre calices d’herbes sacrées et la visite d’Haïlé Sélassié Ier, chargée de spiritualité messianique.
L’heure du Reggae a sonné pour le monde entier. Autour de 1970, les bases du mouvement et de sa musique vont se poser pour longtemps.
Ce deuxième volet : Black Man’s Pride 2 propose dix-sept titres des artistes majeurs du mouvement. L’ épanouissement des thèmes spiritualistes, mystiques, porteurs de sagesse et de paix éclatent au grand jour, portés par des voix profondes, chaudes, voilées et d’une incomparable douceur…
Avec ce disque, nous voyons s’élever une des colonnes de l’Arche d’alliance, un drôle de livre de prières, venu du fond de l’histoire africaine, matinée d’électronique, d’amplis, de guitares, cuivres et percussions décalées, un nouveau feeling naissant pour l’humanité…
C’était il y a un demi-siècle, mais ce son est encore installé sur un trône avec un étrange lion d’or, gardé par un homme aux interminables dreadlocks.
Studio One. Black Man’s Pride 2. Righteous are the sons and daughters of Jah. Soul Jazz Records. CD 17 titres (Horace Andy – Heptones – Manchesters – Gladiators – Willie Williams – Roland Alphonso et Brentford all stars – Keith Wilson – Alton Ellis – Bobby Kalphat & the new Establishment – Peter Broggs – Mystic révélation of Rastafari – Larry & Alvin – Ernest Wilson & the Sound Dimension – Jackie Mitoo – Prince Lincoln – High Charles – Winston Jarett) + un booklet de 20 pages. Historique de Stuart Baker . Notes de pochettes détaillées (avec labels) de Rob Chapman.
Visuel : (c) capture d’écran Youtube