Le Pharaon noir du Free – une étoile filante de la musique.
Je suis toujours fasciné par les êtres qui, bien que seuls et isolés , arrivent à suivre toute leur vie leur direction, sans fléchir ni faire de concessions. SUN RA est l’une de ces étoiles filantes qui ont frôlé notre planète sans changer de trajectoire.
Né en 1914 dans l’Alabama, Herman Blount est un assidu des bibliothèques, des concerts et aussi d’une loge maçonnique noire, des francs maçons de couleur. Il est donc cultivé et politiquement averti. C’est un timide, introverti et discret.
A 22 ans, étudiant, il fait une expérience extra sensorielle, il se voit transporté sur Saturne où on lui annonce son destin : faire de la musique pour sauver la terre du Chaos. A partir de ce jour il répètera quotidiennement avec tous ceux qui passent dans son studio.
La saga va pouvoir commencer. Vers 1942, il refuse de porter un uniforme et menace de tuer quiconque tentera de l’enrôler. Réformé, classé schizo, il se rend à Chicago . Plus tard il dira à de jeunes noirs en pleine période Black Panthers :
« Je suis un vieux rêve, envoyé vers vous » .. Les jeunes s’exclament : « qu’est ce qui le prouve ? et même, qu’est ce qui prouve que VOUS existez ? » Croyant le désarçonner, avec ces formules radicales de l’époque des slogans politiques.
Il répondra : « je n’existe pas, et vous non plus. Dans une société ou nous devons courir après nos droits civils, nous ne sommes rien.. Mais je vous apporte le mythe, car les noirs sont un mythe ! » – leur clouant le bec et leur ouvrant la conscience .
Effectivement, tout ce que Herman Blount va faire, va tendre vers une expression large, universelle, à la fois infinie et multiforme, intégrant les savoirs ésotériques et la technologie de pointe, la liberté la plus débridée, insérée dans une discipline maitrisée…
A Chicago, il sera arrangeur, pianiste et déjà des titres éclairés comme Deep Purple ou Sound Mirror, le nom de son magnétophone vers 1947, un des tout premiers en vente.
Puis il va s’incarner en SUN RA ( dieu solaire égyptien), annonçant avant l’historien Cheik Anta Diop les pharaons noirs, et son groupe s’appellera L’ARKESTRA. Il apparait vêtu de chasubles métallisées, coiffé de casques ethno lunaires, paré de bijoux vénusiens…
D’abord classé FREE JAZZ, il va sans cesse échapper aux normes, aux catégories, devancer les Hippies et le planant avec de longues compositions, avec son SPACE TRIO. ( Piano, percussion, Saxo)
En 1951 avec Alton Abraham, qui devient son ami, associé, manager. Ils éditent des textes, des tracts, des manifestes, définissant leur cadre de pensée et leur univers philosophique, que l’on va retrouver dans les quarante années de productions à venir ! Alton Abraham était radiologue, spécialiste des rayons X !
Vers 1957, 2eme album, intitulé SUPER SONIC JAZZ, après quelques 45 tours ( Saturn, Call for all Demons..) Car si Sun Ra est mystique il est aussi politique, rêvant d’un futur « space » et progressiste. SUN RA aura son label EL SATURN dès le début des seventies.
C’est pendant cette décennie de succès que ACTUEL (maison mère de NOVA) éditera 2 albums avec BYG Records et la Fondation MAEGHT éditera également les concerts qu’il réalise à la fondation musée de Saint Paul de Vence. La France aime SUN RA, sa vision, son ampleur.
En une vingtaine d’année, l’ARKESTRA a intégré des éléments Free, Jazz, fusion, planants, africains, punks, électroniques, répétitifs.. une sorte de NEW AGE ou la musique expérimentale flirte avec des éléments de performance et d’improvisation.
On parlera même de musique concrète : il jouera dans les concerts POP, mais aussi avec le MC5 .. Plus tard SONIC YOUTH déclarera son amour de Sun Ra, le grand ancêtre et son sens des mots et images : The Heliocentic World of Sun Ra, Space is the Place, Nuclear War, Love in Outer Space, The second Stop is Jupiter.
Sun Ra a interprété des morceaux de musique pris chez Walt Disney (!), mais ça ne l’empêchait pas, de faire un concert total NOISE en même temps. Ses détracteurs peuvent le trouver trop bruyant ou minimaliste : des faces entières de disques avec un ronflement de Moog ou des déchirements de sax.
Avec ses allures de grand prêtre cosmique, calme comme un prélat, mais scintillant, entouré de ses musiciens saturniens, à la fois archaïque et solarisé par un orage électrique, le grand ancêtre des hippies, de Funkadelic et de Lee Perry a toujours fait mon admiration.
Prophète de la liberté, il a dit : « j’ai été à la maison blanche, mais je n’ai pas vu la maison noire. »
Amen.
SUN RA, palmiers et pyramides – par Joseph Ghosn. Editions Le Mot et Le Reste. 130 pages avec images et discographie. 16 Euros.
Un livre précis, rare, documenté.. ou chaque étape et surtout concert et album est détaillé.