Du surf, de la danse, de la pop-music, des débats : il y avait de quoi plancher sur la Côte des Basques, tout au long de ce festival 100% bonnes ondes. À peine le temps d’appliquer de la Biafine sur les coups de soleil que voilà le compte-rendu.
C’est clair comme de l’eau de roche. Sans même invoquer, évoquer pour la 28545e fois la sexy ritournelle d’un Tellier en bord de plage, Biarritz nous aura offert de belles façons d’agrémenter notre été 2022. Tout d’abord, dans la langue de l’Espagne toute proche, grâce au « Sacatela » de La Femme, duo frenchy but chic à géométrie variable qu’on avait découvert, il y a plus de dix ans de ça, souvenez-vous, à l’époque de leurs pochettes DIY au feutre et des concerts devant quatre-vingts personnes, grâce à un morceau faisant l’apologie de la glisse et de ses sensations, de l’empowerment dans les rouleaux – « Sur la Planche », chanté par Clémence Quélennec. Ensuite, on y vient (dans ce papier) et on y est allé (dans la vraie vie), grâce au Queen Classic Surf Festival, qui fêtait sa deuxième édition les samedi 3 et dimanche 4 septembre dernier.
Mettons-nous à la plage
On arrive là à l’heure méridienne, sous un ciel imitation palombe et quelques ondées qui rappellent que Biarritz a parfois été affublée de la peu flatteuse épithète de « pot de chambre de la France« , rapport à sa pluviométrie.
Sous des volées d’escaliers – les Cent Marches – hérissées de roseaux à plumes, un atelier « AfroVibes » (assuré par Maryam Kaba de la Famille Maraboutage, retenez bien ce nom) entreprend de réveiller les corps engourdis, sur des sons kuduro, amapiano, ou le « Break my Soul » de Beyoncé – qu’on entendra souvent durant le weekend. Les skateuses font des allers-retours sur la rampe « Skate Her » empruntée à l’Écosystème Darwin, tandis que les surfeur.ses, petites silhouettes (un mot aux origines biarrotes, pour l’anecdote) couvertes de néoprène sur l’écumant roulis aigue-marine, s’attaquent aux lames que l’Océan semblent avoir dans son jeu.
En attendant l’ouverture de la compétition de longboard (retardée par l’arrivée tardive des secouristes), on en profite pour discuter avec les organisatrices et fondatrices – Amaya Gomis, Aimée Arramon-Tucco et sa sœur Margaux. À commencer par le pourquoi du comment de ces deux jours de surf, de musique et d’inclusivité – nécessitant pas moins de neuf mois de préparation, totalement bénévole.
« À la base, retrace Margaux Arramon-Tucco, on voulait mettre sur pied une petite fête de village, histoire de faire une compét’ de surf avec les filles, pour leur donner un bon prize money, les mettre en avant. Et puis, c’est devenu un festival assez engagé, finalement. Pour défendre la plage sur laquelle on a grandi, sur laquelle on a du mal à surfer aujourd’hui, à cause des écoles de surf qui encombrent les line up, des effets délétères du tourisme de masse. » « Mais aussi, relaye Aimée, d’amener de la parole, des débats, au travers du surf, des stands d’association qu’on invite, des podcasts et des sujets de société qui y sont développés. Le surf est un prétexte pour, autour de ça, pouvoir évoquer ces sujets. C’est faire de l’entertainment engagé. Mine de rien, si on arrive à montrer les minorités, la communauté queer, si on arrive à changer aussi le marketing du surf très genré, stéréotypé, dans laquelle beaucoup de gens ne se retrouvent pas, si on peut le faire à notre échelle, ici à Biarritz, c’est déjà un pas en avant. »
Pas le même maillot, mais la même passion
Le surf comme une porte d’entrée cool vers des questions sociétales, abordées notamment par l’intermédiaire de podcasts ; deux tables rondes – entrecoupées par le fantastique « Badala Zamana » de Zohra – présentées le dimanche midi par Élisa Routa, journaliste surf, avec le soutien technique de Dia!, la webradio du collectif luzien Moï Moï (qui organisait, dans les années 2010, le fameux Baléapop).
Les discussions se lancent tout d’abord sur le bikini, ce vêtement au nom d’atoll atomisé, sulfureux hier, anodin aujourd’hui. Un deux-pièces tout en légèreté pouvant être, pourtant, lourd de symboles, tantôt de réification, tantôt d’affirmation affranchie, au même titre que ses variations à l’étymologie farfelue – du trikini au monokini, en passant par le burkini. Mille coupes de fringues pour un combat similaire : celui du choix, de sa liberté à s’afficher (ou non) dans l’espace public, sans être régi par un regard impératif, injonctif – masculin, le plus souvent. « Le vêtement est une zone d’affrontement symbolique entre les mondes, pose-t-on, en substance, devant les micros. Il cristallise des tensions, marque l’adaptation constante entre le système de pensée dominant et les moyens d’émancipation. De sorte que la question est moins celle du vêtement que celle du choix et du regard sur le corps des femmes, ce dont les jeunes générations ont peut-être davantage conscience. »
Surf : liberté, égalité, adelphité ?
Après l’intervention de Maritxu Darrigrand, fondatrice de Roxy et de l’association Keep a Breast prévenant les cancers du sein, les palabres obliquent ensuite vers l’inclusivité, l’œcuménisme du surf. Un domaine dans lequel il y a, passez l’expression, du pain sur la planche. C’est le constat que dresse l’anthropologue Anne-Sophie Sayeux, qui observe depuis longtemps ce microcosme des vagues, ses hiérarchies, ses processus d’intégration et de légitimation au sein du groupe.
« Le surf a été longtemps en avance sur la société. Mais l’égalité des genres y est encore un mythe. Cette idée d’effacement du genre, affichée dans les années 80, ne se vérifie pas du tout dans les vagues. C’est très séparé. Et la sportivisation, l’individualisation croissante des surfeurs devenant, en quelque sorte, des consommateurs de vague, rend plus difficile la possibilité de changement. Ce potentiel d’innovation, il est là malgré tout, grâce aux associations mobilisées qui vont entreprendre ce travail de visibiliser ces personnes et ces courants invisibles. »
Exemple en est donné dans la foulée, avec le témoignage de Sasha Jane Lowerson, surfeuse trans australienne dont la seule présence suscite par moments la controverse dans le circuit surf féminin officiel, fédéral, compétitif. Elle vient rappeler que les surfeuses trans sont des surfeuses, qui entendent participer normalement, et pourquoi pas gagner, si l’occasion se présente, comme pour toute autre participante, sans qu’on considère ça comme un vol, une tricherie, une injustice éhontée. Et, l’un entraînant l’autre (et vice-versa), que « les femmes trans sont des femmes. C’est aussi simple que ça. »
Aimée : « Il y a quelques mois, elle a gagné une compétition fédérale en Australie. Il y a forcément eu quelques polémiques sur les réseaux, sur sa légitimité ; c’est un sujet qui revient souvent. Aujourd’hui, le débat est ouvert. C’était hyper important pour nous, dans nos thématiques d’inclusion, de la faire venir, de la faire surfer, de montrer que c’est possible que sur ces questions-là le surf peut et doit évoluer. C’est normal d’en parler, c’est ça qui fait avancer les choses. » Sa collègue Amaya renchérit : « Quand je vois le monde qu’il y a, qui l’entendent, qui la voient surfer, on se dit que c’est là, que ça marche : les gens peuvent s’amuser autour de sujets sociétaux, en mangeant un cornet de frites et en écoutant Donna Summer. Et le message passe. »
Des discussions et des échanges qui contribuent à entériner « la naissance d’une communauté » dixit Élisa Routa dans une éloquente péroraison, saluée par des applaudissements nourris et une Amaya Gomis, présente non loin, émue aux larmes.
Témoin privilégié de ces débats, Pierre Laffitte, président de Moï Moï, est admiratif : « Les sujets, pointus, qu’elles abordent, comme la gentrification ou cette année le bikini, je craignais – pour avoir fait beaucoup de festivals – que ça n’intéresse pas forcément les gens, surtout où on on est situé, les pieds dans le sable, les gens qui viennent pour se détendre, pour se baigner, qui font du surf, du skate… Mais l’année dernière, on avait halluciné, les retours étaient assez incroyables, ça écoutait, ça réagissait, ça applaudissait, donc on a foncé direct pour rempiler, bien sûr. »
Les Rosalia des vagues
L’après-midi file gentiment. Certain.es jouent au baby-foot – un baby-foot arc-en-ciel, rendant hommage à Keith Haring – sur le stand LGBT Los Bascos, d’autres lézardent au soleil en se régalant des gaufres en bâtonnet offertes par le sponsor Vans – une amusante référence aux semelles gaufrées de ses chaussures.
Pendant que nos oreilles sont titillées par une bande-son ma foi bien achalandée – Thievery Corporation ! Flavien Berger ! Diana Ross ! Todd Terje ! Keith Tenniswood remixant Pilou ! – la compétition de longboard bat son plein. Assis.es le long de la margelle, près de la digue à talus, les spectateur.rices admirent les diagonales tracées par les surfeuses, modulant les petit pas d’avant en d’arrière, d’arrière en avant, pour prolonger leur trajectoire.
D’ailleurs, curiosité de béotien, pourquoi le longboard, plutôt que d’autres planches ? « Parce qu’on le pratique toutes les trois, répond Aimée. On a toutes commencé le surf comme ça. C’est des grosses planches avec plus d’inertie, la première fois que tu fais un take off c’est plus simple, mais ça devient assez technique si tu veux avoir du niveau. Et puis, même ça devient de plus en plus mixtes, c’est une sous-catégorie du surf qui est souvent pratiqué par les femmes. »
Vingt-quatre surfeuses venues du Mexique, de Norvège, du Brésil, d’Australie, des États-Unis ou tout simplement du coin sont venues en découdre avec les vagues de l’Euskal Kostaldea – spot précurseur du surf dans l’Hexagone, comme le rappelle la statue dédiée aux « Tontons Surfeurs ». Mais leurs lointaines nièces n’ont guère besoin de ce genre d’égides, sur comme en-dehors des longboards. « Nos surfeuses, entérine Amaya, c’est un peu des Rosalia : des meufs badass, qui ont toutes un super niveau en surf, évidemment, mais qui assument aussi leur féminité sans que ce soit pour se vendre, et qui n’ont peur ni de porter un string, ni de coller une baffe à celui qui les fait chier. »
Quant au point L’Équipe, classement et résultats, que certain.es attendent peut-être : c’est la teen de Costa Mesa, Summer Richley, qui succède à la Réunionnaise Justine Mauvin, éliminée en quarts de finale.
Ancienne surfeuse pro, Lee-Ann Curren a observé tout ça attentivement, bien sûr. Mais c’est surtout en tant que musicienne qu’elle a fait le (court) déplacement. En showcase sous un soleil de plomb, la Biarrote a déployé une jolie indie-pop en anglais, avec ce qu’il faut de maîtrise chiadée, de nonchalance et, cerise sur le gâteau, quelques scintillantes incursions de synthés signées Petit Fantôme, tandis qu’un autre visage connu de nos services, François Atlas, officiait à la basse. L’occasion de présenter les chansons d’un mini-album enregistré au Shorebreaker Studio de Tarnos ; un disque influencé par « l’électropop des années 2000 » et la folk d’outre-Atlantique, par « les artistes que j’écoute, des Weyes Blood, Aldous Harding ou Kevin Morby« , vers lequel les oreilles curieuses se tourneront le 14 octobre prochain.
Place à la fête : ambianceurs italo et cracks Cracki
Et sinon, comme le lancerait (et il le fait souvent dans nos jingles) Jean Rochefort en espion de pacotille : « À part ça, quoi d’sensass’ ? » Eh bien, après un samedi soir de DJ-sets R’n’B et de démos de pole-dance masculin, c’est Le Feste Antonacci qui est venu, laidback, Wayfarer sur le nez, égayer nos tympans. Assez peu portés sur la pratique sportive, fût-il du surf (« Mi piace lo sport ma non lo pratico » : ils nous avaient prévenus), le duo, transformé pour l’occasion en quintette – claviers pour le volubile Giacomo Lecchi d’Alessandro, basse pour son compère Leonardo Rizzi, plus guitare, batterie et bongos – a malgré tout généreusement épandu tous ses talents d’entertainers italo-pop, de « Harlem Globetrotters des groupes de mariage » selon leur amusant descriptif.
Sur une scène tapissée de tentures tye and dye, ornée, au fond, d’un cœur en franges dorées, les Parisiens d’Italie lancent l’affaire par l’irrésistible groove midtempo de « Diverso », avant d’enquiller des versions XXL de leurs morceaux ne manquant ni de superbe, ni d’humour : « Sigarette », hymne à la clope traversé d’un solo de trompette, le drame baroque « La Vita Fa Schifo », « La Discoteca », « Sempre Piu Solo », « Mi Piace lo Sport » … Le tout entrecoupé de reprises judicieuses : le « Vacanze Romane » de Matia Bazar, le « Amarsi Un Po' » de Lucio Battisti dont la belle ligne de basse accompagne le coucher de soleil et le toujours aussi badin et efficace « Ma Quale Idea » emprunté à Pino d’Angio.
Tandis que les mouettes planent, dans le jour finissant, à la recherche d’un coin tranquille, Le Feste Antonacci conclut son set par un pot-pourri brésilien aux bons émincés de Jorge Ben Jor – à commencer par ses tubes « Fio Maravilha » et « Taj Mahal ».
Après un changement de plateau un brin longuet, qui aura permis de boulotter un curry balinais et de siffler quelques demis, place à Clara Cappagli et Armand Bultheel, soit les deux moitiés d’Agar Agar. Un groupe au nom de substance contenue dans certaines algues, ça sonne d’évidence au bord de l’Atlantique. Les figures de proue du label Cracki Records, venu.es en voisin.es et sortant d’un sommeil scénique de deux ans, panachent leurs influences electrofunk, trip-hop, synthpop acidulée à la OMD, jusqu’à cette drum’n’bass qui innerve le björkien « Trouble » – le morceau d’ouverture – comme leur final emballant, façon tourbillon jungle et mix inarrêtable, qui fait voler les tentures et lever les portables.
Maraboutage : au grand bonheur la danse
Tout ceci a donné à la Famille Maraboutage le temps de se réunir. Les Marseillais.es, autoproclamé.es « Grands Professeur.es de déhanché » ouvrent immensément les portes de leur « safe place aux vibrations de joie« , suivant l’appellation donnée par Maryam Kaba, après un bref topo sur le consentement. Après quoi, let’s go, au stade We-Love-Drome ! Non pour un concert, mais pour une performance scénique qui remue esprits et cellulite sur un rythme effréné ; un enchaînement permanent de chorégraphies expressives, de twerks, de duos, de trios, façon danse de Saint-Guy afrofuturiste, qui entraîne le public à sa suite.
Roulements, roulements, une gorgée de rhum ou de Fanta, et c’est reparti : figures au sol, poses voguing, accélérations krump, ondulations ralenties, dans un déluge de BPM et de stroboscopes, à tel point qu’invitant régulièrement des personnes du public à se mêler de cette frénésie, la Famille – trois DJ et six danseur.ses, à la base – s’est vite élargie à quinze, vingt personnes sur scène, et une bonne soixantaine pour le dernier morceau. Ça, pour du bouquet final, c’était une belle floraison de lâcher-prise généralisé, qui en a laissé plus d’un.e pantois.e et « marabouté.e, hé hé ».
Les plus vaillant.es filent ensuite en after, à la discothèque La Grande, prolonger l’expérience avec cette Famille aussi accueillante qu’iconoclaste ; les autres se quittent bon.nes ami.es, fatigué.es, mais heureux.ses, en se promettant sans doute de revenir l’année prochaine – on n’y manquera pas.