Pour la troisième édition de l’événement, on a encore surfé, (beaucoup) dansé et surtout profité des débats qui veulent dépoussiérer une culture surf pas encore assez inclusive.
Pour atteindre la famosa Côte des Basques où se déroule le festival, il faut emprunter ces jolis sentiers qui descendent en lacets depuis les hauteurs de la ville. On les appelle les 100 marches. Avant qu’ils ne soient bétonnés au début du 20ᵉ siècle, quiconque voulait accéder à la vue devait oser fouler un chemin bien escarpé, presque vertical, à travers les falaises de calcaire. Une fois l’année, au mois d’août, les Basques y descendaient pour un bain de mer rituel. La légende dit qu’“ils tombaient des montagnes par bandes, en costumes de fête et couronnés de fleurs et de rubans. Ils se répandaient dans ce qui n’était encore qu’un village et ils chantaient en se livrant aux danses les plus extravagantes…” Avant de s’élancer au-devant de la vague.
Autant vous dire que la côte des Basques a la fête dans le sang. Au premier jour du Queen Classic, les biarrot·es côtoient les touristes, et une dizaine de tentes floquées Vans (partenaire de l’événement) accueillent ceux qui ont descendu la côte pour le bain de mer resté rituel, et la fiesta obligatoire. Dans les enceintes, de l’afrobeat et de la dancehall se mêlent à la voix enthousiaste d’une légende du surf : Kassia Meador est venue de sa Californie pour commenter la compétition féminine de longboard qui se joue tout le week-end.
Avec ses “look at her !” réguliers (au cas où on aurait osé détourner les yeux des 22 surfeuses qui se relaient dans les rouleaux) elle ne lésine pas sur les adjectifs pour décrire les performances, et rappelle régulièrement aux “free surfers” de dégager, pour laisser place aux longboardeuses professionnelles. Dans cette catégorie du surf où les femmes sont plus représentées, on se déplace sur la planche en petits pas croisés, en s’avançant jusqu’au nez de la board lorsque la vague se creuse, pour ensuite revenir au centre.
Les athlètes françaises waxent leurs planches avec les Danoises, les Marocaines, les Guadeloupéennes, les Mexicaines, les Australiennes et les Britanniques. On entend les skates gratter la rampe “Skate Her”, installée au milieu du site. Ça sent le sel et la sororité.
Des surfeuses à la boule à Z, des Rosalias dans les rouleaux
C’est sur cette plage que Margaux Arramon-Tucoo a appris à surfer. Elle, sa sœur Aimee et leur amie Amaya Gomis, n’ont donc pas trouvé meilleur spot pour poser, sur le sable, leur festival de surf inclusif et gratuit. Sur fond d’animations, de sets musicaux et de stands associatifs où l’on peut aussi bien se faire tirer les cartes que poser des diam’s dentaires, les trois biarrotes veulent promouvoir une culture surf plus inclusive. Margaux est chargée de digger des surfeuses un peu partout dans le monde :
“J’essaie de chercher des filles que personne ne connaît. Il y a des compétitrices qui surfent au niveau international, mais qui ne sont pas représentées, parce qu’elles ne correspondent pas aux critères de l’imaginaire autour de « la surfeuse » : la blonde, super bien foutue… L’idée, c’est de montrer qu’il y a de la diversité dans le surf. Ça peut aussi donner l’opportunité à certaines de trouver des sponsors. Et de se rencontrer ! Peut-être qu’elles partiront en surf trip et qu’elles progresseront comme ça. Moi, c’est l’histoire de mes débuts.”
À 16 ans, Margaux rencontre une team de surfeuses internationales et les suit pour voyager, avec sa planche, pendant une dizaine d’années. “Ce sont ces filles-là qui m’ont donné envie, c’étaient mes mentors, j’avais des exemples.”
Sa team, aujourd’hui, c’est le crew sponsorisé par Vans, une équipe de meufs de pays différents, avec des styles tout aussi variés : “Hannah s’est rasé la tête, Lola, on l’appelle la Rosalía du surf, elle a de longs ongles badass et préfère le string à la combi en néoprène.”
La surfeuse doit être bonne
Si le surf fait tant rêver, c’est qu’il est fantasmé, érotisé et se trimballe un imaginaire bien sexualisant, surtout pour ses athlètes féminines. Ce n’est pas un hasard si, quand l’illustratrice Paola Hirou a voulu se renseigner sur les plus grandes surfeuses de l’Histoire pour son livre paru cette année, le moteur de recherche la renvoyait vers « les surfeuses les plus sexy sur Instagram », ou encore « le top 10 des plus belles surfeuses ». “C’est un sport centré sur le corps, rappelle Margaux. On porte un maillot ou une combi moulante…” Le sponsoring joue le jeu de l’injonction à la féminité : “ Plutôt que d’encourager les surfeuses à exceller sur les vagues, remarque la sociologue Anne Schmidt, invitée du festival, le sponsoring – la source de rémunération principale de ces sportives – impose à leur corps des normes idéalement conventionnelles de la féminité entrant en contradiction avec un corps performant, musclé, (sur)entraîné et puissant.”
Ces rapports de domination, ils se font évidemment ressentir aussi sur la plage. “Tu as cette sensation quand tu arrives à l’eau, parmi les mecs, qu’il faut vraiment faire tes preuves” raconte par exemple Charlotte de Rochecouste, “tu te fais mansplainer les règles des priorités dans l’eau, par des mecs qui ensuite prennent toutes les vagues avant toi” glisse une autre surfeuse. Alors si en plus d’être une meuf, tu es lesbienne, ou trans… “T’arrives c’est que des mecs cis-het blancs en shortboard et t’as peur d’y aller” résume Flynn, une surfeuse aux longs cheveux ensoleillés, rencontrée au stand du “Club de Surf Queer” (littéralement le seul collectif de surf queer de France, créé il y a moins de deux ans).
Créer de la représentation
“Je n’ai jamais rencontré une seule autre personne trans, en 10 ans à surfer dans le Nord et dans le Sud-ouest”, raconte Flynn. Ah si, elle se rappelle la venue de l’Australienne Sasha Jane Lowerson, l’année dernière au Queen Classic. Sasha est à ce jour la seule surfeuse trans à avoir remporté les championnats de longboard dans son pays, non sans affoler la surfosphère, criant à de prétendus “avantages biologiques”, utilisés pour remettre en question son identité féminine. Alors surfer en équipe, entourée de personne queer “donne de la force”, lâche Flynn dans un sourire, qui laisse entrevoir le diam’s rose scintillant, collé sur une de ses canines. “Et on progresse beaucoup plus vite, on s’encourage. Ça change tout. »
Flynn rêve de créer un lieu dans le Pays basque qui l’a adoptée pour accueillir des personnes queer et leur apprendre à surfer “et je voudrais que ce soit accessible pour des personnes précaires” précise celle qui reconnait volontiers que le surf est un “sport de riches”, lorsque la première board de débutant achetée d’occasion coute à elle seule “au moins 200 euros”.
“On sait que les personnes queer se retrouvent plus facilement dans des situations financières plus compliquées” acquiesce Jihane, la fondatrice du collectif. “Il y a un gros travail à faire pour rendre accessible à tous et toutes ce sport. Avec le club de surf queer, en nous rendant visibles, on voudrait dire à celles et ceux qui n’osent pas commencer que c’est possible.” Elle regrette que les adeptes du surf se ressemblent encore “Il y a eu une énorme réappropriation culturelle du surf par les blancs, un sport qui vient à l’origine d’Hawaï. Aujourd’hui dans le collectif, on est majoritairement blanches, cisgenre, lesbiennes, et on aimerait que d’autres personnes se sentent libres d’intégrer le collectif, et créent de la représentation à leur tour.”
Surfeuses de grosses vagues
Il suffit d’observer la médiatisation du surf féminin pour comprendre que ce qui compte le plus, à leur propos, semble être leur capital érotique. “Sur certaines images de publicité ou de presse, on ne les voit parfois même pas surfer, hallucine Margaux Arramon-Tucoo, il suffit qu’elles soient belles, à côté de leur planche”. Les performances physiques, elles, sont plutôt réservées aux mecs. Le surf de grosses vagues, par exemple, est une discipline où les femmes sont encore peu reconnues. C’était le sujet d’un des podcasts enregistré sur le site du festival, brillamment animé par la journaliste surf Elisa Routa, avec le soutien technique de Dia!, la webradio du collectif luzien Moï Moï. “Être surfeuse, c’est jouer dans l’industrie du surf qui sexualise les corps et reproduit les rapports de domination” explique la sociologue Anne Schmidt, spécialiste du Surf XXL, “et dans le surf de grosses vagues (le surf XXL), on a des femmes qui s’affranchissent de ça, par des performances exceptionnelles. Alors, les performances sportives l’emportent sur les performances de genre.” Les corps sont musclés, balafrés, s’exposent au danger. C’est ce que fait Léa Brassy qui expliquait, au micro, l’intimité particulière avec l’océan que lui procure sa pratique, dans des conditions plus rugueuses, dangereuses et solitaires. Et les Françaises s’illustrent : en 2019, Justine Dupont battait le record du monde en domptant une vague de plus de 20 mètres, au large du Portugal.
Le podcast a aussi dérivé du sujet surf, dans un premier épisode, pour parler de ceux que l’on ne saurait voir : les seins. “Indécents, sexualisés donc sexy, sacrés et sacrément controversés”, ces seins que l’essayiste Gala Avanzi a libéré du soutien-gorge qui les entravait (expérience qu’elle analyse dans “Ce que ma poitrine dit de moi”), ces seins que la fondation Keep A Breast a moulé, en papier mâché, tout le week-end sur son stand du festival. Les bustes, peints ensuite par des artistes, seront vendus aux enchères, et les bénéfices iront à la lutte contre le cancer du sein.
Un line up tout en queerness
Il était donc judicieux de convier à cette grande fête queer et féministe la DJ et « love activist » Barbara Butch. Elle admet être une bille en sports de glisse (son humilité oublie qu’elle a maîtrisé des half-pipes sur sa Nintendo 64, il y a quelques années) mais était « super contente d’être dans ce festival organisé par des meufs pour des meufs. Et puis, c’est quand même le paradis pour les lesbiennes, je trouve » ajoute-t-elle en riant. Pile dans le thème, elle a enflammé la foule du Queen Classic au soir du samedi 2 septembre, avec son titre « Muy Lesbienne » (issu de son nouvel EP qui sortira en décembre sur son label Muy Lesbienne Records, lui aussi flambant neuf). Elle nous a arrosé de hits, de Donna Summer à Mylène Farmer, sans oublier sa signature, l’iconique « La Boulette », de Diam’s, qui ne manque jamais de rassembler l’ancienne et la nouvelle génération Nan-nan. Avant elle, le collectif hispano-britannique Feminxst Projection Party a réveillé les corps engourdis par le sport avec une playlist chargée en reggaeton et ses dérivés caliente. La soirée s’est prolongée au Playboy (club biarrot peu habitué des soirées féministes) avec les DJ locaux de Todo Baïne.
Le dimanche, on en redemandait, et le collectif bordelais La Sueur nous en a donné plus que de raison : 3 heures de set dancehall, reggaeton et afro hip hop assurées par deux DJ et quatre danseurs et danseuses complètement magnétiques. À coup de twerks et de grands écarts, La Sueur a réussi à faire monter sur scène les festivalier·es les plus envoûté·es, et a clôturé ce Queen Classic 2023 dans une splendide énergie transpirante de queerness et de bonheur.
On en retient que l’Australienne Mia Francis remporte la compétition cette année, que le surf est aux prémices de son travail d’inclusivité, et que l’équipe du Queen Classic ouvre grand les portes, sans oublier d’en faire une vaste fête, pour la troisième fois couronnée de succès.