Le jeune militant antifasciste a été tué à Paris il y a cinq ans.
Ce mardi 4 septembre s’ouvre le procès des agresseurs présumés de Clément Méric. Le 5 juin 2013, ce jeune militant antifasciste a été tué après une bagarre avec trois skinheads néo-nazis. Esteban Morillo, Samuel Dufour et Alexandre Eyround comparaissent tous les trois devant la cour d’assises de Paris. Les deux premiers pour « violence commise en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et « violence avec usage ou menace d’une arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Le dernier pour « violence ». Bagarre qui a dégénéré pour les uns, meurtre « fasciste » pour les autres : loin du simple procès pour violence, la dimension politique est omniprésente.
Le 5 juin 2013
Ce jour-là, c’est une vente privée de la marque Fred Perry, adoptée autant par les militants d’extrême gauche que d’extrême droite, qui provoque une rencontre entre antifas et néo-nazis. Les premiers sont des amis de Clément Méric, étudiant à Sciences Po, qui vient d’avoir 18 ans. Il milite à l’extrême gauche depuis le lycée. À Brest, puis à Paris, Clément Méric évolue dans le milieu antifa (où il croise d’ailleurs souvent Antonin Bernanos, condamné dans l’affaire de la voiture de police brûlée Quai de Valmy, à Paris, l’année passée). Il est membre du syndicat Solidaires étudiant-e-s Sciences Po et du collectif Action antifasciste Paris-banlieue.
Esteban Morillo, 20 ans au moment des faits, et ses comparses, sont proches du mouvement Troisième Voie, fondé par Serge Ayoub, porte-étendard des skinheads néo-nazis depuis les années 80. C’est donc dans le IXe arrondissement de Paris, dans un appartement investi par Fred Perry, que se croisent les deux groupes. Les signes distinctifs d’extrême droite, tatouages, t-shirt « 100% pur race », diront les témoignages récoltés au cours de l’enquête, ne laissent aucun doute sur les allégeances des skinheads. Rapidement, les provocations fusent de la part des jeunes antifas.
À leur sortie de l’appartement, ils sont rejoints par Clément Méric. À l’intérieur, la compagne de l’un des accusés appelle des renforts. Le vigile présent tente de calmer le jeu, et demande au groupe d’Esteban Morillo d’éviter Clément Méric et ses amis, stationnés près de l’immeuble, en partant dans la direction opposée. Ils ne le feront pas. La confrontation tourne à la bagarre et il ne faut que quelques secondes (sept, selon le dossier) avant que Clément Méric ne s’effondre sous un coup d’Esteban Morillo – porté ou non avec un poing américain, c’est ce que tentera de déterminer le procès – en état de mort cérébrale. Il décède à l’hôpital, le lendemain.
Mais dans un SMS envoyé ce soir-là, Samuel Dufour se vante d’avoir tapé avec un poing américain. #Meric
— corinne audouin (@cocale) September 4, 2018
« Dépolitiser le dossier »
Ce 4 septembre, le procès est repoussé d’une demi-journée, l’un des accusés étant resté introuvable toute la matinée. Il s’ouvre finalement en début d’après-midi. Les journalistes présents sur place décrivent un important système de sécurité, plusieurs fouilles à l’entrée, mais « pas de présence visible des militants antifa ». Pourtant, des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes de France la veille. Une plaque commémorative doit être posée rue de Caumartin ce mardi 4 septembre au soir, à l’endroit du décès de Clément Méric.
Grosse présence des forces de l’ordre. On s’est fait contrôler trois fois avant d’arriver à la salle. Me Antoine Vey, qui avait pris une photo (audience pas commencée) a failli se faire confisquer son portable #Meric
— corinne audouin (@cocale) September 4, 2018
C’est très calme, la salle est pleine pour l’instant de futurs jurés et témoins qui vont être appelés ce matin. Pas de présence visible des militants antifas. #Meric
— corinne audouin (@cocale) September 4, 2018
Sur le banc des accusés, Esteban Morillo affiche un look sobre sans commune mesure avec le style skinhead. Costume noir, plus de crâne rasé, pas de tatouages apparents. Dans un article de Streetpress, on apprend qu’il a, de toutes façons, fait recouvrir ses tatouages significatifs « par une tatoueuse néo-nazie ». Adieu le slogan pétainiste « Travail, Famille, Patrie » sur son avant-bras droit (« Je ne savais pas que ça venait de Pétain », déclare-t-il pendant cette première journée de procès).
Il y a quelques semaines, il l’a remplacé par le portrait d’un homme en costume. De même que le blason du groupuscule d’extrême droite Troisième Voie, celui que dirige Serge Ayoub, tatoué à l’endroit du cœur. Une tête de mort le dissimule désormais. C’est donc, selon le magazine en ligne, l’œuvre d’une tatoueuse proche de la même mouvance, dont le nom apparaît aussi dans le dossier. Elle fait partie de ceux qui ont appelés des renforts après voir été prévenue par Morillo de la présence de « rouges » à la vente privée Fred Perry.
La stratégie de la défense consiste à « dépolitiser le dossier ». Décoller l’étiquette « assassinat fasciste » pour soutenir la thèse d’une rixe qui aurait mal tourné. Serge Ayoub a, depuis le départ, pris ses distances avec les accusés.
Du côté des proches de Clément Méric, constitués en « Comité pour Clément », personne n’est dupe : « Esteban Morillo, a porté et assumé ses tatouages nazis pendant plus de cinq ans après la mort de Clément. Il les a fait recouvrir un mois avant le procès », peut-on lire dans un tweet de leur part.
Tout au long du procès, qui se tiendra jusqu’au 14 septembre, des événements sont organisés par le mouvement antifa. Dans Les Inrocks, la semaine passée, on pouvait lire les revendications de trois des amis de Clément Méric, membres de l’Action Antifasciste Paris-Banlieue (AFA). « C’est un meurtre politique », insistent-ils, attendant du procès qu’il prouve que « Clément a été ciblé en tant que militant antifa ». La mort de Clément Méric a créé des liens entre les causes. Ce procès, c’est ainsi l’occasion pour eux de dénoncer les violences contre les militants d’extrême gauche, mais aussi les violences policières, judiciaires. Le 26 mai dernier, c’est le Comité Adama, mené par Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré, tué au cours d’une interpellation policière en juillet 2016, qui prenait la tête d’une manifestation organisée par l’AFA.
Les parents de Clément Méric ne sont pas en reste. Eux aussi, ont trouvé des alliés, chez les parents d’Antonin Bernanos, condamné pour l’incendie de la voiture de police Quai de Valmy à l’automne 2017. Les deux jeunes hommes étaient amis, comme le relate Vanity Fair, et leurs parents ont marché dans leur pas, afin de comprendre leurs luttes. En est né un « collectif de mères solidaires », dont le combat veut « soutenir les victimes du fascisme et de la répression d’État ». Agnès Méric et Geneviève Bernanos se sont à leur tour lancées dans le militantisme, et ont rallié à leur cause d’autres mères de victimes, à travers le monde. « Nous l’avons lancé ensemble pour partager les préoccupations des parents de militants qui sont aujourd’hui tués, blessés et réprimés, empêchés d’exprimer leurs idées qu’on caricature », souligne Geneviève Bernanos.
Dans leurs rangs, les familles des lycéens interpellés en mai dernier au Lycée Arago, mais aussi celles des victimes de la manifestation néo-nazie de Charlottesville, aux États-Unis. Chacun devrait scruter avec attention le procès qui va se dérouler ces dix prochains jours à Paris, et la position qu’adoptera la justice quant à la mort de Clément Méric.
Visuel © Flickr / Jeanne Menjoulet