La chronique de Jean Rouzaud.
Une bible de la Techno, sortie en 1999 par Dan Sicko, nous est enfin proposée et traduite chez les sérieuses Éditions Allia, ultra détaillée sur 240 pages, et largement illustrée, en noir et blanc.
Detroit la pionnière
La célèbre scène, pionnière et fondatrice de Detroit, ville pépinière pour un Rock intransigeant déchaîné, Motor City, qui nous avait déjà donné MC5, Stooges, Iggy, ou même Suzy Quatro, continue de frapper (la Motown même présente, est un autre sujet).
Pour ultra résumer la situation : dans les années 80, en pleine New Wave dérivante, une poignée de DJ producteurs qui avaient été assommés par Kraftwerk et tout le Rock allemand de 1974 à 1978 et plus, puis charmé par un Giorgio Moroder inattendu et son beat métronomique, cette bande donc, allait s’acharner sur une nouvelle piste.
Chant de la machine
Mon camarade David Blot (Nova Club) a parfaitement raconté cette aventure dans deux albums BD cultes, autour du véritable Chant de la machine, le titre parfait pour célébrer la Techno Music.
Dans une ville industrielle mythique et en déshérence, des spécimens comme Juan Atkins, Derrick May ou Kevin Sanderson, parfaitement conscients des strates Soul, Funk, Rock de la cité, mais aussi des chocs Punk, Disco, Reggae, New Wave néo Electro qui venaient d’avoir lieu, ont trouvé le moyen de dompter les nouvelles machines pour en extraire ce son, balbutiant depuis dix ans, baptisé Techno.
En amateur, j’y vois comme une crise, un condensé de l’éclatement d’un genre, fait pour danser (planer, rêver…), presque exclusivement extrait de machines, même s’il fallait mixer, aérer, éclater, hacher, répéter, étirer ou compresser tous ces bruits, eux-mêmes évocateurs de styles musicaux répertoriés, enregistrés dans nos mémoires…
Le boum boum Techno était plus compliqué que ses futures parodies, et ouvrait la voie à un champ d’expérimentations illimitées.
Je ne saurai raconter les méandres de cette ascension : tout est dans ce livre compact, avec les images des pochettes, flyers, héros, clubs, et même machines, en repères permanents de la saga.
Par contre j’ai retenu que les trois saints (Sanderson, May, Atkins) et leur comparses radicaux de Detroit, rejetaient le système à juste titre et étaient bien décidés à rester UNDERGROUND, hors des boîtes et majors larguées et pataudes. Ils étaient décidés à faire de Detroit, renaissant une fois de plus de ses cendres, la « Techno City », résistance underground.
Malgré l’adhésion européenne, avec des allemands ultra préparés aux mêmes sons (des villes comme Düsseldorf ou Berlin étaient aussi pionnières du genre), et en dépit des futures Techno parades, raves et autres technivals…La naissance de cette Techno brute fut laborieuse, pleine de déceptions, échecs, refus, retards et autres vacheries du système…
Car, au même moment s’agitait la House de Chicago, les Sound systems du Rap, les assauts de musique « Dance » variées, les come back de Funk, Jazz, Hardcore et l’incompréhension des majors, pataugeant dans un océan qu’ils résumaient en ELECTRO…
Il fallut créer un label, le bien nommé « Underground Resistance » (UR = you are) par Jeff Mills, Robert Hood, Mike Banks ( Mad Mike). Puis organiser une structure de distribution : « Submerge » pour casser le star system, sauvegarder le côté collectif et l’anonymat, refuser les lieux et manières commerciales, submerger le marketing honni.
C’est ce qui a frappé le monde : la Techno a (encore) un côté militant, dur, radical, dans le Son comme dans l’attitude, le choix des lieux, des intervenants (même le public) une sorte de fraternité bizarre, très méfiante à l‘égard des clubs, ces grosses machines à sous, sans âme.
Il y aura bien des méprises, des quiproquos et des couacs entre les purs de la Techno, et tous ses dérivés commerciaux : la gloire des pionniers est une chose, mais le succès et l’argent une autre !
Résister via l’underground
Le label UR devra se démarquer sans cesse pour ne pas être « récupéré », trouver des nuances (High Tech Soul, Cosmic Jazz Funk, Riot Disco…), et compter sur une armée planétaire d’amis.
Londres et la Belgique allaient suivre, mais House, Acid House, Trance Music, Goa Vibe et toutes sortes de rejetons électro post Techno et Electro allaient aussi diluer le mouvement, tout en le portant en partie !
Cette histoire paradoxale, mondiale, si grande que ses contours sont flous, a incontestablement ouvert une porte sur un nouveau monde.
Je n’arrive pas à déterminer l’aide précieuse de la communauté homosexuelle, elle-même englobée dans ces vagues et ces marées. Mais le fait que les principaux acteurs de cette révolution, eux-mêmes enfants du DIY (Do It Yourself, quasi Beatnick-Freaks-Hippy !) sont
majoritairement noirs, afro-américains comme les oncles des Block Parties de Brooklyn : Afrika Bambata ou Granmaster Flash…
Bref, il a sans doute fallu la révolte, les malheurs de la communauté noire américaine (en véritable guerre depuis les années 60) et tout le passif d’un peuple opprimé, pour s’obstiner à créer un genre en dehors des genres, une voie à part, presque fermée à la culture américaine classique l’ « Americana Pop »), et prendre une tangente cosmique ?
Désolé, je n’arrive pas à être plus clair sur la révolution technoïde, il faudra sans doute revoir cette copie sous un angle philosophique, ou historique plus large, pour y arriver…
Techno Rebels. Les pionniers de la Techno de Detroit. Par Dan Sicko. Éditions Allia. 240 pages (avec Index). 15 euros. Et plus de 300 images de photos, reportages, pochettes d’albums mythiques, flyers, coupures de presse, logos et graphismes d’époque.
Visuel en Une © Derrick May