Etude en trois couleurs d’un cas clinique.
Radio Nova, Adobuzz, Les Inrocks, Le Point, Télé-Loisirs, Libération, Voici, Le Figaro… et Ruquier. Ça y est, la promo de Sébastien Tellier, son album My God is Blue bien dans ses bacs depuis deux mois, s’achève. L’artiste s’envole fanfaronner à Cannes avant de revenir en tournée tout l’été. Le cirque médiatique passé, arrêtons nous plus longuement sur ce cas clinique.
On pourrait reprocher à Tellier de jouer sur les deux tableaux, de draguer les branchés (qui n’est pas un mot galvaudé) et d’amuser les grands médias. Mais c’est pas ça. Déjà il s’en fout, mais surtout, sa musique comme son éducation musicale boxent dans ces deux catégories. Derrière son érudition et ses mélodies pointues, il est pop, furieusement pop.
Et puis disons le, Sébastien Tellier est un client en or pour l’intervieweur. L’animal à poils longs, ses surlunettes polarisantes de vieille cannoise, ses costards immaculés, en télé ça passe nickel. Comme c’est un monstre de gentillesse et un bavard par-dessus le marché, chaque fois on a des punchlines cadeaux. Comme lors de ce passage culte à l’eurovision.
Il est passé chez Nova au début du printemps. Un matin très tôt dans la matinale, un soir très soir pour raconter ce qu’il a Dans les Oreilles. Sans oublier de nous gratifier de quelques envolées dont il a le secret. Alors comment est-il devenu si pop et pointu à la fois ? Et c’est qui, ce mec ? Tellier la question.
« Je suis un mec de 37 ans, je suis banal, je me bats au quotidien pour être quelqu’un d’extraordinaire.». Présentations faites. Mais ce refrain, il le chante à tout le monde, il nous en faut plus : « J’ai beaucoup de mal à être moi-même, je suis dans une mascarade en permanence »
Même tout seul, j’ai du mal à être moi-même
Ok, là on tient quelque chose. Encore ?« Mon arme c’est ma folie, je l’entretiens. On a tous une petite part de folie en nous, moi je me bats pour la développer » il a fini par en faire la seule partie visible de l’iceberg, toute sa normalité tapie sous l’océan. Récit de ce combat pour la folie en trois couleurs.
❖❖ Diamant ❖❖
« J’ai commencé sérieusement la musique à 6 ans » ça peut faire sourire, « sérieusement », à 6 piges trois pommes, mais quand c’est papa guitariste rythmique de Magma qui lui offre sa mini guitare, on y croit. Suivent batterie, synthé, magnétophone 4 pistes, le proto-type est en marche. Dans une de ses premières interviews, en 2001 au Monde, il raconte l’élément déclencheur : « A treize ans, je suis tombé très, très amoureux. Ça s’est mal passé. Elle était une princesse, moi un raté. Il fallait que je fasse des trucs magnifiques pour tenter de l’impressionner, seule la musique me le permettait. ».
Une anecdote rare qui pose le personnage, son besoin de romance, d’exagération, de « mascarade » pour séduire. Et surtout sa musique : « J’aime quand c’est grandiloquent, mais au service de la tendresse, quand c’est grandiose, pop, sucré, mais au service de la sensibilité »
Tellier assume son goût pour la pop. Le tracklisting exemplaire de son Dans les Oreilles ressemble à aucun autre parce que c’est un peu celui de Monsieur Tout-le-monde. Bonnie Tyler, Michael Jackson, Wham, Madonna, Prince…« J’aime ces musiques qui ont des couleurs, la pop et ses reflets de diamants ». Des as de l’incarnation, des ténors de l’entertainment, ça il adore.
Tellier est aussi fan de Daft Punk. Les puristes peuvent s’étrangler, Tellier préfère Discovery, le deuxième, plus pop forcément. Il a été « ébloui » par ses paillettes, ses synthés et la cargaison d’arrangements.
Cette facette pop pas popu lui vient aussi du cinéma américain, de sa consommation cinématographique de la musique. C’est en voiture, en « cruising » – a.k.a. « l’éblouissement des bords de route » – qu’il aime passer ses disques. « Mes potes et moi on allait se garer en lisière de forêt avec les potes et on écoutait la musique à fond », comme on se gare au drive-in pour mater des films en plein air et toucher des titis.
Le besoin de faire de la musique la bande originale d’un instant, c’est d’abord son éducation musicale avant de devenir une marque de fabrique.
« Mes parents écoutaient énormément de musique..Pink Floyd, des musiques de films. Moi j’ai appris à faire du piano sur les musiques de François de Roubaix ». Normal que ses premières compos, comme la ronde Fantino chez Sofia Copolla, collent au grand écran.
♥♥ Rose ♥♥
En 2000, son premier album L’Incroyable vérité fait bizarrement pas dans le strass et les paillettes, mais dans la dentelle. Plutôt instrumental, gorgé de mélodies nostalgiques et anxieuses. Explications : « Le premier album, c’est le plus important, celui qui caractérise l’artiste pour sa carrière. J’ai commencé par un truc très sombre, intello. Je suis content de m’être présenté comme ça, parce que je peux tout faire maintenant. Producteur de tubes, du disco… »
Malin. Le socle pointu avant l’explosion pop lui permet d’attirer dans son giron une flopée de talents comme Air, Quentin Dupieux (Oizo), les Daft Punk justement.
Son deuxième disque Politics est plus verbal et engagé. Une attaque à mains armées, d’une orchestration pop cette fois, contre la mondialisation. En bonus, sa Ritournelle l’ammène au pinacle.
Une parenthèse crooner avec l’acoustique Sessions entre Gainsbourg et Robert Wyatt et il se tubifie encore plus avec son troisième album Sexuality. Un condensé rose de musc, un appel à la sueur ;Guy-Manuel des Daft Punk et un type de chez Marc Dorcel à la prod. « J’aime donner un thème à chaque album, pour chaque disque j’ai choisi d’explorer que des thèmes que je ne connaissais pas ». La famille d’abord, la politique, le sexe et avec son dernier album : la religion. « J’adore les sujets qui seront toujours là, les questions éternelles, sans réponse ».
Quand il se plonge dans un thème, il ne vit que pour ça, 100% dans ce qu’il fait. Preuve en sont les propos qu’il tenait dans Trax en 2007 au moment de Sexuality : « Avant je souhaitais donner une dimension politique à mes chansons, maintenant seul le cul m’intéresse ». 5 ans plus tard il est bleu. Bleu azur, bleu océan, bleu timbré.
✞✞ Bleu ✞✞
Nous voilà pantois face au nouvel album My God is Blue et l’explication qu’il donne : « j’étais à Los Angeles où j’ai vécu une immense transe bleue grâce à une petite potion magique »
A force de l’entretenir, sa folie a pris le dessus sur tout. Dans une grand messe nappée de synthés, ses morceaux se déshabillent de toute normalité, de toute forme préconçue. Tellier n’est plus un bleu, il a enlevé tous ses chichis pour n’être que pop, que LA pop qu’il incarne.
Pas de refrain, un seul passage chanté par morceau, comme un solo, après une introduction immense en forme de montée en puissance. Des chansons « comme un interminable capot de voiture américaine, mais avec très peu de place derrière », grandiose, au service de la tendresse.
Champs lexical religieux, textes prosélytes, ambiance sectaire, pour cet opus dei tout bleu, Tellier ressemble à Raël. À chaque fois dans son thème à l’excès, le chanteur n’en démord pas. Si avant la musique était un acte politique, puis une pute, maintenant : « La musique est un dieu ». Durant la composition, il est devenu son prophète. Ce rêve bleu, il y croit à fond, c’est merveilleux.
« Je veux créer un domaine, un mouvement, une poche de liberté qui s’appelle L’Alliance Bleue. Pour l’instant on a pas de territoire. Si j’ai un fidèle qui me dit « j’ai un terrain près d’Aix en Provence », bah ce sera là-bas ». Le titre Cochon ville ? « Une ville où tout est autorisé ». Fais ce que voudras, disait Rabelais, L’Alliance Bleue c’est son Abbaye de Thélème.
Avec le recul, sa carrière ressemble à celle de l’acteur Sacha Baron Cohen. Pour chaque film, ici album, pendant des mois le comédien rentre dans son nouveau rôle, le conserve en interview. Ali G., Borat, jusqu’au-boutiste Sacha Baron-Choen sème le doute. Pareil pour Tellier, sauf que Tellier devient réellement chacun de ses thèmes, en prend toute la couleur, toute la folie.
Alors qui sera-t-il dans son prochain vaisseau tubesque ? Dans la matinale, Sébastien a dit qu’il se forçait en ce moment à s’intéresser au foot. Miam. Après s’être marié au Bénin « en transe sous le signe du vaudou », il est aussi dans une « période africaine transcendantale ». Voilà voilà pour la suite.
Pendant son interview, il a aussi dit « il faut qu’on se libère de notre prison génétique » mais c’était trop difficile à placer.