Pièce maîtresse du punk, l’album « London Calling » de Clash sortait il y a 45 ans. Loin d’être uniquement un bijou musical, ce disque est avant-tout un long manifeste révolutionnaire et antifasciste.
« Phoney Beatlemania has beaten the dust » (La Beatlemania bidon a mordu la poussière). Lorsque The Clash sort London Calling en décembre 1979, l’euphorie de l’Angleterre des 60’s est retombée depuis un moment ; le punk lui aussi s’essouffle. Le « NO FUTURE » commence déjà à ressembler à un slogan catchy de plus, prêt-à-consommer sur des pin’s et autres goodies pour se la jouer rebelle.
The Clash — groupe londonien emblématique de cette première vague de punk, moins nihilistes et plus engagés que leurs cousins des Sex Pistols — se sont eux aussi perdus : Give ‘Em Enough Rope, leur précédent album, était formaté pour le succès américain — une façon polie de dire « gommer que tout ce qui fait leur saveur ». En revenant en 1979 de leur tournée outre-Atlantique, ils se séparent de leur manager, et décident de repartir de zéro, à l’ancienne.
Durant trois semaines, ils s’enferment à Pimlico, dans le centre de Londres, pour ne rien faire d’autre que répéter, répéter, et écrire. Lorsque, après cet entraînement quasi martial, vient le moment d’enregistrer en studio, le groupe boucle le disque en trois semaines seulement. Une durée très courte pour enregistrer, au choix, 19 titres, l’un des meilleurs albums de punk, ou l’un des plus grands de l’histoire de la musique.
Aucun style n’échappe au Clash : London Calling n’est pas seulement punk, il s’aventure en terres ska, reggae, rockabilly à l’ancienne, et même jazz ! Mais il est surtout et avant tout engagé ; la musique de Clash est politique. L’Angleterre de Thatcher, les classes populaires écrasées, le nucléaire, toute cette jeunesse qui ne sait pas vraiment où aller. Et surtout le retour du bruit des bottes.
Deux morceaux se distinguent tout particulièrement à ce titre.
Ami, entends-tu
Morceau d’ouverture de la face B du premier disque, « Spanish Bombs » chante la guerre civile d’Espagne. Quarante ans après sa fin (la Guerra Civil a durée entre 1936 et 1939), Le Clash rend hommage aux républicains et anarchistes espagnols qui se battaient aux côtés du Frente Popular contre les milices franquistes.
Les paroles font aussi référence à Federico García Lorca, poète espagnol socialiste et homosexuel assassiné par les nationalistes. Trainé sur les pavés puis jeté dans une fosse commune, ses œuvres furent également interdites par le régime franquiste. Au cas où il y aurait besoin de rappeler ce qu’il se passe lorsque l’extrême-droite arrive au pouvoir.
« The hillsides ring with « Free the people »
(« Les collines résonnent des « Libérez le peuple »
Or can I hear the echo from the days of ’39?«
Ou entends-je les échos des jours de 1939″ ?)
Selon Joe Strummer, le chanteur du groupe, « Spanish Bombs » fait aussi écho au terrorisme Irlandais et Basque. En 1978, la région Basque avait voté « Non » à un référendum pour accepter la nouvelle Constitution Espagnole : ils se sont quand même vu imposer cette Constitution, qu’ils n’avaient pas choisie. Avec une référence à l’histoire passée, Strummer abordait en réalité des questions brûlantes d’actualité.
Le titre « Clampdown » (Répression) aborde quant à lui le continuum qui va du travail capitaliste à la répression fasciste. Pour le groupe, ce sont les facettes d’une seule et même pièce, celle de la déshumanisation et de la violence, de l’injustice.
« You start wearin’ blue and brown«
(« Tu te mets à porter du bleu et du brun »)
Les graines de la violence sont déjà semées par la hiérarchie et la répression nécessaire au fonctionnement de l’économie de marché. Ni les chemises brunes, ni les bourgeois, ni l’État ne sont les alliés des exploités. La solution :
« Kick over the wall, cause governments to fall
(« Donne un grand coup dans le mure, fait tomber les gouvernements,
How can you refuse it?
Comment refuser ? »)
Loin de dresser un portrait sombre et maussade de la société, The Clash ne cessent de promouvoir l’effort collectif, l’insurrection politique comme antidote aux maux qu’ils décrivent. Tout l’album est ainsi parcouru par un optimisme, la croyance en la capacité des masses à renverser leurs bourreaux.
« Revolution Rock »
La pochette elle-même annonce la couleur. On y voit Paul Simonon, le bassiste du groupe, fracasser son instrument. Le rock condensé en une image. Pennie Smith — la photographe — juge pourtant le cliché trop flou pour être utilisable ; le groupe doit batailler pour qu’il orne la pochette.
Quant au lettrage, il reprend directement celui du tout premier album d’Elvis Presley, l’un des premiers disques de rock de l’histoire.
Il faut dire que London Calling s’inscrit fièrement dans l’histoire du rock, et rend hommage à certaines de ses figures. Sur 19 titres, deux sont des reprises : « Brand New Cadillac » de Vince Taylor et « Revolution Rock » de Danny Ray.
Ce n’est pas une nostalgie stagnante qui alimente ces références, mais une exaltation de la force primale du rock. Là où le rock des 70’s se perdait en élucubrations progressives, celui des débuts était synonyme de libération des corps, de doigts d’honneurs aux forces conservatrices, d’émeutes exaltées.
Dans La Structure psychologique du fascisme, l’auteur Georges Bataille (qui a directement assisté à la montée du fascisme dans les années 30) explique que le fascisme canalise cette force pulsionnelle et explosive qui parcourt la société pour la rediriger vers la défense d’un projet réactionnaire et meurtrier.
En opposition à cela, il décrit le rock’n’roll et le punk 40 ans avant l’heure : la dépense exaltée des forces irrationnelles, le choc et le bruit. Le punk était un grand retour à cette charge pulsionnelle (et politique) ; une façon adéquate de s’opposer au projet fasciste.
40 ans après ce texte, 40 ans après la guerre d’Espagne, The Clash accomplit de ce projet : London is Calling, et nous répondons présent.