En plus de 600 pages de témoignages, Meet Me In The Bathroom raconte une histoire de transformation, dans le son et dans l’industrie musicale.
Si le deuxième album des Strokes Room On Fire n’a pas atteint le statut de classique de leur d’Is This It, ni son succès commercial, en matière de son, il a peu de chose à lui envier. Il tient même un avantage sur son prédécesseur, celui d’abriter le morceau qui donne son titre à l’ouvrage Meet Me In The Bathroom de Lizzy Goodman. Ces cinq mots, répétés à outrance dans une scène new-yorkaise qui carburait aux narcos, encapsulait parfaitement l’ambiance de cette époque de renouveau rock.
Des discussions au cœur de l’histoire
Le texte original de Meet Me in the Bathroom a été publié en 2017 avant d’être adapté dans un film documentaire en 2022, l’occasion idéale pour enfin proposer au public francophone une version traduite de cet ouvrage. Dans ses pages, Lizzy Goodman nous entraîne dans les rues new-yorkaises de la fin des années 90 aux années 2000, une séquence où la ville est témoin d’un revival du rock après une sérieuse période de disette dans ce secteur-là. Le groupe Jonathan Fire*Eater sera l’étincelle, le bruit avant-coureur, avant que les Strokes de Julian Casablancas, les Yeah Yeah Yeahs de Karen O et le LCD Soundsystem de James Murphy ne prennent le relais, en captivant public comme critiques, en définissant le nouveau cool et en changeant jusqu’à la manière de s’habiller d’une génération.
Meet me in the Bathroom est une histoire orale. L’autrice ne raconte pas cette aventure à la manière d’un compte rendu, et se contente de rapporter des paroles tirées d’interviews avec les personnes qui ont vécu cette époque. Les voix se répondent, se disputent, règlent leurs comptes par citations interposées. Dans les lignes interviennent donc James Murphy du LCD Soundsystem, ses proches du label DFA, Karen O, Casablancas, mais aussi des figures de l’ombre (managers, boss de labels, journalistes, bloggers, et amis installés dans le business de l’entertainment). Mises bout à bout, ces discussions forment une histoire passionnante, qui tient presque de l’enquête sociologique sur le microcosme musical new-yorkais.
Chroniques d’une crise du disque
Au-delà d’une conversation chorale au long cours riche en anecdotes folles (sérieux, qui savait que David Cross, interprète de Tobias Funke dans Arrested Development a pris de la crystal meth avec les Strokes?), ce livre nous plonge dans une période de transformation capitale dans l’histoire de l’industrie musicale : l’arrivée d’internet dans l’équation.
Avec internet, des nouvelles plumes prennent de plus en plus de poids. Les blogs de fans se mettent à supplanter en termes d’audience et de pertinence les revues spécialisées comme Spin et Rolling Stone, qui finiront par leur ouvrir leurs colonnes. Internet c’est aussi l’arrivée du téléchargement de masse, avant de sérieusement déstabiliser une industrie pourtant bien installée. Au début des années 2000, la plateforme de partage de fichiers sonores Napster chamboule les stratégies des labels et fausse leurs prédictions de ventes. Les poulains de l’époque sont en première ligne lors de ce changement de paradigme et deviennent cobayes, les premiers groupes à voir les ventes de leurs disques impactées par le téléchargement illégal.
Si ces changements, nous les avons vécus en tant que consommateurs, téléchargeurs de morceaux, et explorateurs de blogs, dans ce texte, on comprend ces modifications de l’intérieur à travers les yeux de celles et ceux qui ont vu les règles de leur métier bousculées. La force de Meet me in the Bathroom c’est aussi son authenticité, qui vous touchera même si cette période du rock ne vous dit rien, même si les Strokes ça vous barbe, même si vous n’avez jamais pu blairer James Murphy. Ce livre reste de toute façon captivant, car il dépeint un écosystème foisonnant pris dans une période de secousses.
Ce livre, vous le trouverez aux éditions Rue Fromentin, et c’est déjà un classique.