On vous offre le disque posthume d’une légende qui ne s’éteindra jamais vraiment.
There is no end. Il est malin, ce titre de l’album posthume de Tony Allen. Malin et surtout, absolument vrai. Car un artiste meurt, bien sûr, comme chaque entité vivante de cette planète. Mais son art lui, ne meure jamais tout à fait, n’a pas vraiment de fin pour reprendre l’idée du disque, poursuit sa route encore et encore, sollicite de nouvelles âmes, s’accroche à certaines qui n’auraient peut-être pas même connues, de leur vivant, l’artiste en question. L’art survit à celui qui l’a créé, devient autonome, indépendant même au bout du compte, bâti des châteaux sur des territoires que l’artiste n’aurait même jamais pu envisager. L’artiste termine sa route quelque part. L’art la poursuit partout.
Tony Allen fut l’un des grands fondateurs, avec son compère Fela Kuti (ils jouèrent ensemble au sein du mythique Afrika 70), de l’afrobeat, ce mélange de highlife, de funk et de jazz qui s’échappa rapidement des frontières du Nigeria pour se répandre partout là où des oreilles suffisamment affinées étaient apte à l’entendre. De cet acte fondateur en naquit d’autres (une carrière solo remarquable, le projet The Good, The Bad and The Queen avec Damon Albarn, des collaborations avec Sébastien Tellier, Charlotte Gainsbourg, Jeff Mills, Jimi Tenor, Air…) et une impression profonde d’avoir circulé, durant six décennies gorgées d’expériences musicales plurielles, l’esprit ouvert à la moindre opportunité de se renouveler encore et encore.
“I just wanna explore”
Nouvelle, cette expérience qui est le sujet des quelques mots, devait l’être une nouvelle fois. Âgé de 80 ans et toujours aussi attentif au monde qui l’entourait, Tony Allen s’était mis en tête de sortir un album… hip-hop. Pas question bien sûr, pour la légende nigériane, de poser des lyrics acérés et raffinés avec micro branché en mode rap legend. Non Tony devait, comme il l’a si souvent fait dans le passé, poser des rythmes de batterie sur lesquels poseraient ensuite des rappeurs. C’était son truc à lui, la batterie, ils étaient nombreux à le rappeler lors de l’émission spéciale que nous lui consacrions quelques heures après son décès.
“I just wanna explore”, comme il le résume si bien sur le morceau éponyme du disque… Quelques semaines avant son décès, intervenu il y a une année de cela, Tony avait eu le temps de les enregistrer, ces jeux de batteries. Ce sont Vincent Taeger et Vincent Taurelle qui ont pu finaliser ce disque sur lequel apparaissent finalement un nombre très impressionnant de rappeurs et rappeuses venues de Londres, de Lagos, de Detroit, de Johannesburg ou de Nairobi.
Dans le désordre : Damon Albarn (pas vraiment un rappeur ouik, on sait), Sampa the Great, Lava la Rue, Danny Brown ou le duo Skepta x Ben Okri pour cette petite merveille intitulée “Cosmosis” qu’on vous dévoilait déjà il y a quelques mois. Okri, laissons-lui le mot de la fin, car ces paroles-là sont plus précieuses que d’autres : “Cet homme aurait pu vivre encore 150 années, et il continuerait de créer de nouveaux mondes. Il était devenu le maître shaman de son art. Il se connaissait, et il connaissait son mental. Il voulait que l’album soit ouvert aux énergies d’une nouvelle génération… mais, comme un grand mathématicien ou scientifique qui trouve le code pour un nouveau monde, avec juste quelques beats il a créé ce canevas extraordinaire.”.