Auteur d’un roman survivaliste façon Take Shelter pour les branques, ce poète du Lubéron orchestre le « recyclage des mots usés » avec l’aide d’un « collège espiègle et barbu d’enfants et d’étymologistes » qui veut « mettre des pichenettes au réel ».
« Le monde est parti en sucette (…) tu bailles et bim tu te retrouves dans un Tex Avery écrit par Kafka sous LSD. » Dans Fin de saison, son dernier roman (enfin) sorti cet automne aux éditions Gallimard, Thomas Vinau déplie la réaction improvisée d’un drôle de gus face à l’apocalypse, décrite comme une « dégoulinade » de « merde grise et glacée » tombant du ciel et déracinant les arbres. L’homme s’enferme dans sa cave avec son clebs et son lapin, organise son « catakit », kit de survie par temps de catastrophe, et s’interroge : « Comment c’est là-haut ? Est-ce que la terre se transforme en rouille pendant que les machines apprennent à pleurer pour nous ? Est-ce que l’océan est rose ? Est-ce que deux femmes sont en train de s’entre-dévorer ? Est-ce qu’il reste un vieillard, aveugle, qui erre en demandant pardon ? Est-ce que des enfants se battent nus dans la neige contre des géants ? Est-ce que le vent quelque part caresse les pages d’un livre oublié sur un banc ? »
Gars attachant. Mais a-t-il toutes les pièces dans sa caboche ? Celles et ceux qui ont vu Take Shelter, le fabuleux mélo parano de Jeff Nichols, apprécieront. « … Pandémie, ravage, réserve, bombe (…), voilà le champ lexical du bouzin. J’avais faim moi avec ces conneries ! D’abord c’était intriguant. Et rigolo. J’ai commencé par me moquer de tout ce folklore. Et puis je me suis pris au jeu. Mais finalement ça m’a fatigué, énervé, voire dégoûté. Cette espèce de mélange de hippie et de nazi. Cette hybridation bizarre entre le cinéma et le religieux. Les gens trop premier degré, y a pas mieux pour me vacciner de croire. »
Son créateur, lui, a encore foi dans le vertige des possibles. En témoigne cette utopie verbale collective, où Thomas Vinau – qui vient également de publier Les Sept mercenaires, hommage en vers libres à « sept chiens magiques, sept moudjahidines de la bibine, de la littérature américaine, avec les dessins de Régis Gonzalez, aux éditions du Réalgar – orchestre depuis son Lubéron le « recyclage des mots usés » pour « mettre des pichenettes au réel ». « Chaque jour de l’an, un collège espiègle et barbu d’enfants et d’étymologistes, le posse Alain-Rey, sélectionnera, assouplira, modulera et colorera une tripotée de mots abusés. Tous les intervenants politiques, experts, éditorialistes et compagnie auront alors pour obligation de changer de registre sous peine d’être transformé.e.s en poules. »
Face à cette menace, les premiers mots modifiés seront « force », « idée » et « crise »… qui deviendront « biscotto », « bidouille » et « fadaterie ».
Pour écouter Thomas Vinau livre un extrait de Fin de saison à bord de L’Arche de Nova, c’est là : https://www.nova.fr/news/thomas-vinau-demain-empale-les-gourous-36164-23-03-2020/
Image : Take Shelter, de Jeff Nichols (2011).