Ben Wheatley a déposé son cadeau sous le sapin de la comédie britannique : une boîte à rires féroce et méchante.
C’était au festival de Cannes en mai dernier. Une séance de la Quinzaine des réalisateurs pas comme les autres. Avant, peu de monde identifiait Ben Wheatley sur la carte du cinéma anglais. Après, le réalisateur monterait sur scène en triomphant comme une popstar.
Qu’est ce qui s’était passé entre temps ? 1h29 où la comédie romantique est passée à la moulinette, si possible en faisant craquer ses os. Touristes ! est très loin de l’image dominante du genre donnée depuis Quatre mariages et un enterrement. Pas qu’on aie quoi que ce soit contre les atermoiements d’Hugh Grant et Andie Mc Dowell. Sauf peut-être cet air de rire du coin des lèvres, poliment, le petit doigt en l’air.
Touristes ! n’est pas propre sur soi, ne s’encombre pas de bonnes manières. Chez Wheatley, les personnages ont le droit de péter les plombs. Et sérieusement même, puisque les crises de couple se résolvent à coups de masse ou autre objet contondant sur les crânes de quiconque a le malheur de passer un peu trop près de Chris et Tina, deux tourtereaux pas comme les autres, semant les macchabées pendant leur lune de miel sur les routes anglaises.
Un aperçu de la démence du cinéma de Ben Wheatley avait pu être aperçu l’été dernier avec Kill List, son étrange second film où un tueur à gages au bord de burnout était forcé de reprendre du service. Touristes ! baigne dans une folie douce mais tout aussi explosive. Car Chris et Tina sont d’inquiétantes bombes à retardement. D’autant plus quand en apparence très ordinaire (lui, nounours barbu; elle, Ginette gironde) mais toujours au bord de l’explosion. Il suffit d’être impoli avec eux, ou d’avoir une tête qui ne leur revient pas pour allumer la mèche. S’ils se sont aussi bien trouvés, c’est avant tout parce qu’ils ont en commun d’être nourri par les frustrations du quotidien, de fonctionner comme une cocotte-minute un peu trop sous pression.
Wheatley filme le road-trip de ce couple collectionnant les meurtres comme d’autres les papillons, pour les embarquer sur une drôle de route. Pas loin dans le paysage, il y a aussi bien le renouveau d’une comédie british décomplexée, façon Edgar Wright (Shaun of the dead, Hot fuzz) que le ciel bas et noir des études de cas prolo de Mike Leigh (High hopes, Life is sweet). Au carrefour des deux, Touristes !, comédie très noire mais tout autant fine biopsie des rapports amoureux. S’ils sont cinglés, Chris et Tina, sont encore plus à vif dans une relation où ils doivent enfin tomber le masque, assumer leur face obscure. Un vrai mariage de déraison, entre ces deux-là, unis pour le pire et le pire sous le régime de la communauté des sociopathes.
En parfait maître de cérémonie, Wheatley ne se refuse rien, ne flanche jamais. Touristes ! ira jusqu’au bout de cette balade rurale, vandalisant les us et coutumes de la société british, ne lésinant pas sur la dose de Grand Guignol versée dans les pintes de bière. Mieux, après deux films claustrophobiques (Kill list, donc, mais aussi le toujours inédit Down terrace), Wheatley semble s’épanouir au grand air de son road movie paillard. Ce malin plaisir à brocarder des institutions britanniques – Touristes ! alterne visites dans des musées improbables (comme celui du Tramway de Crich, effectivement du genre à donner envie de tuer) pour tout non-britannique et lieux patrimoniaux, trucidages et vigoureuses parties de jambes en l’air. Sans rechigner à taper sur d’autres figures symboliques comme la cellule familiale- est des plus communicatifs. Jusqu’à un tout dernier coup d’éclat, plus grinçant que les autres. Une ultime sortie de route, confirmant qu’en plus de s’attaquer au folklore et aux traditions britanniques, Wheatley n’est décidément pas pour la paix des ménages…
Touristes ! en salles depuis le 26 décembre.