La chronique de Lilas Guevara
On vous a parlé la semaine dernière d’un éditorial de l’anthropologue anglais David Graeber critiquant ce qu’il appelle les« bullshit jobs » (traduisez jobs à la con). Et vous Lilas Guevara, vous nous dites que si ça continue on va travailler gratuitement dans le futur.
Eh oui, vous travaillez gratuitement sans le savoir. En préparant l’émission, vous avez sans doute fait des petites recherches sur Google. Je vois là dans l’historique la dernière recherche « est-ce qu’on peut boire son pipi chaud». sachez que ces petites recherches, vous avez contribué à rendre les robots du moteur de recherche plus précis.
Il faut le savoir les algorithmes de Google ou de Facebook utilisent nos milliards de recherches, nos liens, nos données pour s’améliorer et monétiser tous ces contenus avec de la publicité notamment. Et ce sont ces mêmes algorithmes de ciblages sur lesquels reposent la valeur boursière, comprenez – la cash machine !
Soyez en sûrs, la participation sociale sur internet, c’est le pétrole de la Silicon Valley.
Maintenant plaçons nous dans une optique marxiste du travail : quand on contribue à une valeur économique sans être rétribué pour celui-ci, on est tout bonnement exploités.
Même si Facebook et Google ne sont pas des usines où les ouvriers se crèvent à la tâches mais plutôt des cour de récré où on discute entre potes, nous utilisateurs qui contribuons au chiffre d’affaires de ces entreprises sans être payés, nous sommes des travailleurs exploités. Le chercheur américain Trebor Scholz a théorisé cette exploitation d’une nouvelle ère et la nomme le travail numérique, le « digital labor » .
> Donc dans le futur on est tous condamnés au digital labor ?
On est mal barrés. Partant du principe que les technologies comme Google et Facebook, mais je pourrai aussi dire Amazon et Apple, vont davantage s’immiscer dans nos vies, on ne va pas s’en libérer de ces technologies, mais plutôt s’y aliéner davantage. Donc quelque part la crise de l’utilité sociale du travail que David Graeber (dont on parlait tout à l’heure) résumait avec l’expression « jobs a la con » est beaucoup plus large. Si on est vraiment pessimiste, nous tous là : vous et le million d’auditeurs qui nous écoutent, on deviendra les esclaves d’une élite qui contrôle des algorithmes toujours plus gourmands en données. Un peu comme dans le film de Terry Gilliam : Brasil.
> Du coup, qu’est qu’on peut faire maintenant pour changer le futur?
Alors figurez vous que tout n’est pas perdu. Il y a des chercheurs qui veulent attirer l’attention des pouvoirs publics sur ce déplacement de la valeur du travail. Certains imaginent la création d’un syndicat pour cette forme de travail précaire afin de réclamer un versement de taxes de la part des entreprises de la Silicon Valley à l’utilisateur. D’autres solutions plus utopiques existent comme celle de Bernard Friot qui souhaite que l’Etat mette en place un salaire universel, qui permet à chacun de glander tranquille et de ne plus travailler !
Personnellement, je ne crois pas que le salut viendra des syndicats ou de l’Etat mais plutôt des initiatives individuelles en réseau. Chacun devrait pouvoir mettre en vente les données détenues par les opérateurs ou par Google. Il y a des initiatives isolées : des gens qui vendent leurs données sur ebay et il y a aussi des micro-mouvements qui s’organisent. Pour votre futur, je vous conseille de rejoindre datacoup, une plateforme qui veut littéralement faire un coup d’état auprès des Google Facebook et consorts en vous re donnant la propriété de vos données.
Vous pouvez choisir sur ce que vous souhaiter monétiser et auprès de qui vous souhaitez le faire. Maintenant, c’est à vous, travailleuses, Travailleurs numériques exploités, de reprendre le contrôle de vos données, car c’est de votre futur qu’il s’agit.