Rencontre avec Shurik’n à l’heure de la sortie de son deuxième album solo
C’est une rencontre qui s’offre comme un souvenir. Une sentence délivrée par un oncle croisé lors d’une fête de famille trop vaste. Des mots glissés au détour d’une table. « Tu sais la vie c’est pas toujours comme on veut, c’est souvent comme on peut.» Un individu de la famille qu’on a jamais revu depuis. Et pourtant cette petite phrase trotte toujours dans la tête. Empreintes de mots dans le cerveau qui mènent on ne sait trop où.
Une sentence qui chemine en parallèle de l’existence, et dont on ne prend la mesure et l’importance qu’au fil de l’expérience de la vie. À la manière d’un couplet de Shurik’n, ceux de « La Lettre », parus en 1998 sur l’album « Où Je Vis ». Une rencontre qui date d’il y a quatorze ans maintenant, et a amené pourtant la possibilité de réciter le texte en entier, comme une fable de La Fontaine apprise à l’école.
Oncle Shu’ a éclairé de ses rimes bien des sourires, bien des pleurs, et bien des interrogations. Il revient, conscient d’être un proche, et de vivre un peu avec chacun d’entre nous…
« Tous m’appellent Shu’ » est le nouvel album solo de Shurik’n.
Nova : C’est votre première apparition en solo depuis « Où je Vis », qu’est ce qui vous a motivé à faire ce retour sous cette forme ?
Shu’ : Purement et simplement l’envie et le plaisir. Comme pour le premier, je n’ai pas la pression d’un album qui va lancer une carrière. Ca n’est pas un come back non plus car les gens n’ont jamais perdu le contact avec moi. Je me retrouve donc dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles j’ai sorti le premier, je savais alors qu’il n’y en aurait pas de deuxième dans l’immédiat. Je le faisais parce que j’avais envie de faire un bel album et surtout de voir si je pouvais le faire entièrement. Cette fois, à nouveau, c‘est l’envie de faire de la musique pour moi qui m’a poussé. Et ce, sans avoir à faire mes preuves. Je sais que je peux sortir un bon disque, ça a contribué à faire descendre la pression et me concentrer uniquement sur l’essence du travail.
Nova : Comment s’est passé le processus de création? S’agissait-il de textes écrits auparavant et que tu voulais sortir ?
Shu’ : Tout a été écrit pour l’occasion, le travail d’écriture s’est étalé sur 2 ans et demi voire 3 ans. J’avais aussi en parralèle beaucoup d’autres projets, des featurings à honorer. Enfin, quand on fait le choix de sortir le disque en indé, tout prend davantage de temps.
Y a t’il eu une homogénéité qui s’est détachée, un thème central qui a poussé à l’écriture et donné une teinte générale à l’album ?
Non, étant donné que j’ai un rapport très viscéral à la musique, j’ai écrit en fonction de coups de gueule, de prises de position, de faits divers, d’actualité et de société. C’est un besoin irrépressible qui m’est venu à chaque fois que j’avais une idée, un instru qui m’inspirait.
Ca s’est fait assez naturellement, j’ai amassé des prods, et après je me suis enfermé dans mon antre et j’ai écrit, j’ai écrit, j’ai écrit… Comme pour le premier. C’est vrai que l’impulsion initiale, la nouvelle envie, est revenue sur la scène. Avec IAM, on a la chance d’être bookés toute l’année et pour nous la vérité, et la finalité d’un groupe de Hip Hop, ça a toujours été la scène. Je ne vois pas l’intérêt de sortir un album sur youtube sans être aller rencontrer un public et avoir un feedback en direct.
Est ce que le format solo vous permet une introspection, d’aborder quelque chose de plus intime ?
Oui, ne serait-ce qu’au niveau du choix des prods, ce sont des directions artistiques plus personnelles, qui me permettent d’aborder quelque chose de plus intime. J’ai un rapport très interne à la musique, j’ai besoin d’être enfermé, d’avoir le son, de le ressentir, d’être vraiment en immersion totale. Plus intime dans mon isolement sur le disque aussi. En ce qui concerne les featurings : j’en avais initialement prévu beaucoup et finalement, je me suis enfermé dans mon antre, et quand je suis sorti, j’avais fini. Et je ne me voyais alors plus enlever un couplet pour le remplacer.
Je ne vois pas l’intérêt de sortir un album sur youtube sans être aller rencontrer un public
Vous avez composé l’intégralité de votre premier album solo, vous êtes aussi connu en tant que beatmaker du mythique « Demain c’est Loin ». Cette fois, vous avez choisi des instrus d’autres compositeurs. Etait – ce un défi de création ?
Il est évident que le confort aurait été de produire pour moi. Par conséquent, le challenge était d’aller chercher des producteurs , de chercher à entrer dans leur univers afin de placer mon flow différemment. Je ne voulais pas qu’ils composent POUR moi, car ils auraient alors forcément pensé à mon flow et les compos s’en seraient ressenties.
C’est simple, en matière d’art, sans remise en question, tu ne crées plus.
Vous revendiquez aussi un attachement au sample, à la tradition Hip Hop…
Oui, et à la chaleur de la boucle, à son côté hypnotique, à son jeu. C’est un des piliers sur lesquels repose cette maison, depuis Eric B and Rakim. Ca n’a jamais quitté le rap, c’est une façon de travailler plus qu’une tradition, une façon de concevoir la musique. Et bien souvent, en plus, on réinsuffle de la vie à des morceaux qui n’existent plus, dont le travail avait disparu.
Iam s’est toujours démarqué par des textes aussi bien politiques que poétiques, accordez -vous toujours cette même valeur au Hip Hop de porte-voix social ?
L’album répondra tout seul à cette question, je ne peux pas gratter pour dire que je suis le meilleur, je n’aime pas l’egotrip. Si j’en fais, je le fais en tant que groupe, je ne peux pas le faire en solo. Les sujets que j’aborde sont ceux que je vis et sont très proches de ceux que les gens connaissent.
En cette période électorale, comment arrivez-vous à vous positionner dans ces débats?
Shu’ : A chaque présidentielle, on sort les mêmes épouvantails, on change les formules mais on sort les même fantômes, dont on ne change que le drap. On brandit les mêmes masques, les mêmes peurs. Mais j’ai quand même un reproche à faire : à cette presse qui revendique sa liberté d’expression et qui fait le jeu de cette politique. il y plein de choses qu’il n’est pas nécessaire de relater et colporter à longueur de journée.
je me suis enfermé dans mon antre et j’ai écrit, j’ai écrit, j’ai écrit
Nous voulions revenir sur votre collaboration annoncée entre Iam et Ennio Morricone.
Il signore ! On prévoit une sortie début 2013, on a déjà deux morceaux achevés. On va travailler des morceaux avec lui mais aussi tenter de se confronter à sa musique, de la réinterpréter. C’est quelqu’un qui nous a énormément influencé, depuis toujours. Toutefois on ne se limitera pas au western spaghetti, on veut travailler sur l’ensemble de son oeuvre. Il y a une sacrée ribambelle de films marquants sur lesquels il a travaillés. Ennio Morricone est dans l’innovation constante, nous avons beaucoup à apprendre de lui.
D’autres collaborations qui vous font rêver ?
Stevie Wonder, ça reste mon idole… Mais on a eu la chance d’être sur scène avec James Brown, on a pu le rencontrer personnellement, Maceo Parker aussi… On a eu beaucoup de chance dans notre carrière…