C’est un élan du cœur, un sentiment qui advient quand les relations de partage communautaire s’intensifient, que ce soit en concert, en manifs ou en soirée. Une émotion courte et puissante que vous avez déjà ressentie à coup sûr, mais n’avez jamais pu y mettre de mot. L’anthropologue et psychologue californien Alan Fiske en est devenu le spécialiste et l’a baptisée le “kama muta”.
La tournée de Taylor Swift vient de se terminer hier, après 149 concerts donnés à travers le monde en deux ans qui ont généré plus de 2 milliards de dollars et réunis plus de dix millions de fans. Nova avait déjà évoqué l’idolâtrie des Swifties, qui vont aux concerts de l’artiste américaine comme à l’Église, tout en se distribuant des bracelets d’amitié. Dans ces moments d’intense partage communautaire, ces fans sont habité‧es par un même sentiment : le « kama muta« .
Le « kama muta », cette émotion inconnue que tout le monde a déjà ressentie
Vous n’avez jamais entendu ce terme et pourtant vous avez à coup sûr ressenti cette émotion. Elle est ressentie lors de manifestations, dans des concerts (oui, c’est le kama muta que vous avez vécu aux Nuits Zébrées et autres Nova Danse…) lorsqu’on retrouve un ami que l’on n’aurait pas vu depuis longtemps… ou même à la vue d’un adorable chaton. Ce n’est ni de la tristesse, ni de la joie, ni de l’empathie, mais un élan du cœur. Le « kama muta » est un sentiment bref et positif, qui vient avec une chaleur dans la poitrine, la chair de poule, des frissons dans le cou, voire des larmes aux yeux.
Il a fallu 10 ans de recherche à l’anthropologue et psychologue californien Alan Fiske pour qu’il décrive si précisément, et mette un nom sur cette mystérieuse émotion. Il l’a baptisée d’après un ancien terme sanskrit qui signifie « ému par l’amour« . À l’origine, Alan Fiske s’est demandé pourquoi il pleurait à la fin des films pour enfants, alors qu’il n’était pas vraiment triste. Il ne trouve aucune trace de cette émotion précise, et, intrigué, décide de s’y coller en équipe, en réalisant des milliers d’entretiens approfondis dans une vingtaine de pays différents. À travers des vidéos ou l’évocation de souvenirs, les témoins décrivent tous et toutes la même chaleur au cœur, les mêmes larmes et la même envie d’exprimer leur affection.
Une émotion qui pousse à la compassion et la gentillesse
L’équipe de recherche a carrément constaté que la température de la poitrine des participants augmentait, littéralement, pendant qu’ils et elles ressentaient le « kama muta« , alors qu’au contraire, leur rythme cardiaque avait plutôt tendance à s’apaiser.
Alan Fiske affirme même que cette émotion est véhiculée par la plupart des vidéos virales d’internet, à commencer par les vidéos de chats, car leur vulnérabilité déclenche nos instincts parentaux. L’étude explique que le « kama muta » pousse à davantage de compassion et de gentillesse, à la fois envers celles et ceux qui ont provoqué ce sentiment, mais carrément envers les autres en général. C’est le « kama muta » qui peut vous donner envie de serrer des inconnu‧es dans vos bras pendant un concert.
“Quand vous la ressentez, vous réalisez que vous êtes une personne aimante, et que d’autres personnes vous aiment.”
Alors c’est beau, mais ça peut aussi être évidemment manipulé, comme le fait très bien la publicité, qui sait parfaitement jongler avec tous les sentiments et utilise le « kama muta » sans même le savoir. En politique aussi, le « kama muta » joue à plein. Alan Fiske assure néanmoins qu’avec “le bon message”, l’émotion pourrait aider à guérir les divisions politiques… Une expérience récente réalisée aux États-Unis a prouvé que l’évocation du « kama muta » avait tendance à améliorer l’opinion et le respect des votants républicains sur les votants démocrates et vice versa. Dans l’étude de Fiske, le « kama muta » était à son apogée lorsque les chercheurs l’ont mêlé à un sentiment de fierté nationale. L’exemple phare rapporté par l’équipe est la réaction des participant‧es face à une vidéo de la performance de « America the Beautiful » par Ray Charles avant les baseballs World Series, quelques semaines après le 11 septembre 2001.
Dans une interview au Guardian, Alan Fiske fait l’éloge de cette délicieuse émotion, sur laquelle il aime s’attarder le plus longtemps possible, depuis qu’il a pu l’apprivoiser : “Quand vous la ressentez, vous réalisez que vous êtes une personne aimante, et que d’autres personnes vous aiment.”