C’est en 1994 qu’Adrian Nicholas Matthews Thaws, alias Tricky, s’émancipait de Massive Attack pour publier « Maxinquaye », le 20 février 1995. L’avenir allait s’écrire avec cet artiste iconoclaste et son premier disque, encore et toujours indispensable, qui souffle sa trentième bougie.
« Techniquement, je suis complètement naïf, et émotionnellement, je suis bousillé. » Tricky n’est pas le genre d’artiste à tourner autour du pot. En 1995, après plusieurs années à avoir développé le trip-hop (un croisement de hip-hop, de soul, de house et de dub) auprès du Wild Bunch et de Massive Attack, l’originaire de Bristol se lance en solo avec Maxinquaye. Et c’est le jackpot. Le disque se hisse d’emblée en troisième place dans les charts anglais et se vendra à plus d’un demi-million d’exemplaires en Europe. C’est une performance incroyable pour un disque à l’esthétique aussi oppressante, pleine de tensions et d’une violence sourde.
Un hommage musical sombre et iconoclaste
Le ton est donné dès le début. Maxinquaye est un hommage de Tricky à sa mère, Maxine Quaye, qui s’est suicidé quand l’artiste n’avait que quatre ans. Chef-d’œuvre imprévisible, sombre et mystérieux, l’album navigue entre le hip-hop, la soul, le dub, le punk, l’électronique (et la liste continue…), marqué par la voix de Martina Topley-Bird, la compagne de Tricky de l’époque. Les samples constituent un élément omniprésent du disque. Mark Saunders, le coproducteur de l’album, en témoigne dans les colonnes du magazine Sound on Sound: « Chaque morceau était construit autour de celui de quelqu’un d’autre. Sur le sol, il y avait des vinyles partout, Tricky prenait un disque, me le donnait et me disait, “Essaye celui-ci” avant de changer d’avis et d’en prendre un autre. À la fin du projet, la maison de disques était furieuse parce qu’il a fallu trois mois pour clarifier tous les droits. »
« Violence. Mort. Sexe. Argent. Fourberie. »
Tricky reprend notamment les harmonies de « Five Man Army » de Massive Attack pour en accentuer la claustrophobie et le côté menaçant. Le titre est bourré d’effets sonores, de dub infectieux et de drum’n’bass du sud-ouest de l’Angleterre. La musique est tour à tour languissante, violente, expérimentale, mais jamais complaisante… Elle est aussi source d’engagement politique pour Tricky. Interrogé par le Melody Maker en 1995, l’artiste développe : « Quand j’écris les paroles ‘You and I walking through the suburbs / We’re not exactly lovers’, puis, ‘And then you wait / For the next Kuwait’, je veux dire par là qu’il est possible de marcher dans la rue avec sa petite amie, alors qu’au même moment, le Koweït se fait bombarder. J’essaie de regarder le monde en trois dimensions. Avec Martina [Topley-Bird], nous sommes des documentaristes. On documente les situations autour de nous. Violence. Mort. Sexe. Argent. Fourberie. »
Catapulté vers la célébrité internationale
Loin d’annoncer le chant du signe de Tricky, dont l’existence était jusque-là liée à celle de Massive Attack, Maxinquaye a au contraire placé l’iconoclaste sous la lumière des projecteurs. Le succès massif de ce disque allait valoir à l’artiste reconnaissance critique et célébrité internationale. Trop souvent limité à l’une des figures de proue du trip-hop avec ce premier album, Tricky reprouvera toujours ce statut, au point de carrément rejeter l’idée même d’une « scène trip-hop« . Interrogé par le journaliste Simon Reynolds, l’artiste s’explique : « Cette notion de scène ne m’évoque pas grand-chose… À part Massive Attack et moi, qui, à cette époque, a émergé de Bristol ?«
Il faut pourtant reconnaitre que, au moins pour un temps, Maxinquaye a contribué à faire de Bristol une capitale de la pop, avec Massive Attack et Portishead. Après sa sortie, le disque a été nommé aux prestigieux Mercury Prize et élu album de l’année par la revue musicale britannique NME. Quant au magazine musical anglais Q, il a placé Maxinquaye à la 36ᵉ place des 100 plus grands albums britanniques de tous les temps. Pas mal.