Est-ce qu’il est encore possible d’imaginer le monde avant Funkadelic ? Il y a pile 55 ans, en 1970, la bande à George Clinton s’écrasait comme une météorite pleine de distorsion et de LSD sur notre planète avec son premier disque éponyme. Complètement barré, le collectif sans limites du New Jersey lançait l’éclatante révolution P-Funk.
“Mommy, What’s A Funkadelic?” Avant d’enregistrer le morceau qui ouvrira le premier disque du collectif funk le plus déglingué de tout le temps, George Clinton et sa bande ont dû chercher longtemps la réponse à cette question universelle.
Tout commence en 1968. George Clinton et les Parliaments, la première formation de doo-wop du scientifique de la funk, (à ne pas confondre avec Parliament) sont en conflit ouvert avec leur label, Revilot. Après des années de contrats minables sur contrats minables, le groupe ambitionne de projeter la black music dans une autre dimension. Les Parliaments finissent par abandonner leur nom pour celui de Funkadelic, et signent sur le label Westbound de Détroit.
Le manifeste P-Funk
Le temps passe, et deux ans plus tard, le 24 février 1970, les platines balancent les premières notes en binaural chelou de Funkadelic, un album qui allait marquer l’histoire de la musique. Le groupe construit un disque complètement barjos : 7 titres d’un funk extatique et hyper sexy, qui s’étendent parfois sur plus de 9 minutes. Qu’est-ce que c’est qu’un Funkadelic ? C’est l’entité qui se “dévoue au sentiment de bien-être”.
Pour George Clinton, c’est plus que de la musique. Le funk est une philosophie politique autant qu’une grande quête spirituelle, pour se libérer, se désentraver et danser ensemble en transe. Le “funk”, à l’origine, c’est un mot d’argo qui signifie “la sueur” : Funkadelic, c’est la communion par le rythme. Dans la première track du disque, George Clinton va même le parcours des Parliaments : “Je me rappelle, quand j’ai quitté une petite ville appelée Caroline du Nord / J’ai essayé d’échapper à cette musique… / Je disais que c’était un truc des vieux gars du pays / Je suis allé à New York / Je suis devenu stylé, je me suis coiffé, j’étais cool / Mais je n’avais aucun groove… / Le voilà qui arrive !” Le manifeste du P-Funk est né.
Un cocktail explosif d’influences musicales et artistiques
Musicalement, Funkadelic puise autant dans le funk énergique de James Brown que dans le jazz afrofuturiste de Sun Ra, en passant par l’acid-rock de Jimi Hendrix, et les compositions complexes d’un Vanilla Fudge, qui leur ont fait découvrir les amplis Marshall… Tout le musiciens présents sur l’album font des folies complètement novatrices avec leur instrument. Sur « Qualify and Satisfy« , un blues traditionnel devient un échange chelou entre l’orgue et la guitare.
Anarchie, transpiration et drogues
Mais la funk de George Clinton & co, c’est aussi un truc résolument crade et anarchique. L’expérience des drogues était « aussi essentielle à la P-Funk que la transpiration” (après tout, “P-Funk”, c’est l’initiale de « Psychedelic Funk« ). L’album transpire de partout la distortion et le LSD : c’est l’abolissement des frontières mentales pour mieux unir le monde face aux dominants. Pas étonnant que les concerts de Funkadelic puissent durer 3 à 4 heures, et que les sessions de leur premier disque fussent chaotiques… La liste exacte des musiciens ayant joué sur le long-format est quasi-impossible à établir, même aujourd’hui. Les seuls noms crédités sont Eddie Hazel (guitare solo), Bill Nelson (basse/voix), Tawl Ross (guitare rythmique), Tiki Fulwood (batterie), Mickey Atkins (orgue) et Ray Monette.
“Je ne suis pas de votre monde. Mais ne me craignez pas, je ne vous ferai aucun mal”
Une ambiance totalement anarchique bien définie par le dernier morceau de l’album, “What Is Soul”. Qu’est-ce que la « soul » ? C’est “un jambonneau dans tes cornflakes”, “des chevilles rouillées et des genoux cendrés” ou “un joint roulé dans du papier toilette”… C’est avec cette ultime titre que George Clinton introduit Dr. Funkestein, son alter ego extraterrestre qui annonce : “Je ne suis pas de votre monde. Mais ne me craignez pas, je ne vous ferai aucun mal.” Cette phrase pose les bases du mythe Funkadelic, une force cosmique bienveillante, venue sur Terre pour libérer les esprits (et nos fesses).
Entre 1970 et 1975, en 5 ans, ce sont pas moins de 7 disques qui verront le jour, (le solo de guitare complètement dingue de « Maggot Brain« , c’était en 1971). Peu à peu, le funk a bien déferlé sur le monde !