Extases illicites ?
Les Éditions Allia présentent Musique et transe chez les arabes par Gilbert Rouget. Un texte de spécialiste de 130 pages, censé nous expliquer les notions d’écoute, de musique, de profane et de sacré dans la tradition arabe, à travers les grands textes historiques sur ce sujet.
Et nous voilà projeté dans un monde de nuances, de légendes, d’extases (parfois mortelles), d’interdits, de pratiques, de derviches et de Soufis…Et de mots : mot-concept, mot-valise ou mot-clé, comme Sama (audition), Wajd (transe), Dikhr (répéter le nom de Dieu), Tarab (transe profane ou émotionnelle)…
Un monde à part, étroitement corseté par le Adab (bons usages), car avec musique, extase et transe, on évolue sur le fil du recommandé, du toléré, ou de l’interdit, du païen : on ne badine pas avec la droite ligne de la tradition musulmane, on n’est pas dans une rave, ni à Goa, ni à Ibiza !
Un des bonheurs de ce petit livre (126 pages) est de confirmer l’universalité de la transe, de l’Afrique à l’Asie, mais aussi en Europe, des chamanes aux traditions ancestrales. Tous les peuples, toutes les religions (musulmane, hindoue, chrétienne, animiste, vaudou, bouddhiste, taoïste, chamanique…) sont concernées à un niveau ou un autre.
Nous y apprenons tout sur les auteurs : de textes, d’études, des pratiques et aussi les philosophes et poètes, car les grandes religions sont toujours ultra-complexes avec des niveaux de lecture étagés : musulmans comme chrétiens, hindouistes comme israélites…
Il manque les Amérindiens, mais nous avons une idée des pratiques rituelles du chant et de la danse, du Canada aux grandes plaines, du Mexique à l’Amazonie.
Il y a des façons de faire, comme de répéter des mantras (paroles symboliques ou sacrées) tout en inspirant et expirant, afin de créer une hyper ventilation de la gorge et des poumons, un va-et-vient du diaphragme, favorable au déclenchement de la transe…
Mais bien sûr ces moyens mécaniques ne sont pas très bien vu, car ils procèdent d’une gymnastique, moins pure et mystique et donc plus artificielle que la transe extatique, par répétition du nom de Dieu ou de paroles ou de versets vraiment en accord avec le dogme et le cheminement religieux.
La tradition arabe parle alors de transe « Conduite » par la danse ou l’effort, et la transe « induite », par des éléments extérieurs au sujet. Pourtant les derviches « tourneurs » se servent de ces rotations pour appeler la transe ?
Ces notions d’effets et de cause, font le caviar des différentes sectes et praticiens, qui nuancent à l’infini ce qui vient de soi, ou de l’extérieur, ce qui est activement produit par le corps, et ce qui arrive presque involontairement, sous l’effet de syllabes chantées ou de la musique…
Et dans la musique, certains tambours et flutes sont autorisés, et pas d’autres, de même que les luths, Saaz et autres instruments à cordes, soigneusement triés par les groupe religieux ! (pas trop aigus, pas trop sourds, violents etc.)
Il existe aussi une transe agitée, une sorte de danse de Saint Guy, et une transe plus calme, plus planante. De même, le croyant peut aller jusqu’à déchirer ses vêtements, fondre en larme ou…mourir !
En tout cas, la transe émotionnelle est passive, on dit que l’individu est « musiqué », au lieu d’autres, qui sont musiquants, donc actifs ? Certains tambourinaires irakiens peuvent en arriver à se casser sur la tête leur tambour en poterie, au moment de l’extase !
Bref, même si on est sidéré de voir à quel point la tradition arabe veut contrôler, justement l’incontrôlable, on s’approfondit quand même devant la subtilité des nuances ! On recommande la recherche de l’extase, mais dans une infinité de règles !
Les religions sont souvent paradoxales, et on ne sait jamais si c’est ce qui fait leur force dans un premier temps, ou leur faiblesse… À terme.
Musique et Transe chez les Arabes. Par Gilbert Rouget. Ed ALLIA. 126 pages, 10 euros