Quand Rémy Kolpa Kopoul nous parle de football, c’est forcément en version brésilienne.
Le Brésil KO debout ! Là, c’est la débandade, 7 buts encaissés, ça déclenche une rafale de mots XXL : honte, minable, vexation… A Rio et São Paulo, villes qui ne dorment jamais, un silence assourdissant. On pleure, on se terre et, en sourdine, on crie vengeance.
Les « auriverde » ont certes accroché cinq étoiles à leur maillot, mais n’oublions pas qu’il y en eut, des défaites du Brésil, en Coupe du Monde, des déroutes, plutôt, à chaque fois : 1950, on le sait, au Maracana, face au voisin uruguayen, un traumatisme, disait-on alors. 98, au Stade de France, un-deux-trois-zéro, on connaît par cœur. Mais il y a aussi 1986, le 21 juin, au Mexique, face à… déjà… la France. Un quart de finale au putaing de suspense. J’y étais. Pas à Guadalajara, mais sur une plage du sud de Rio de Janeiro, Pedra de Guaratiba. Je vous raconte.
D’abord, le cadre, un terrain de foot à la pelouse élimée et aux buts sans filet que des fous de ballon rond, artistes et bohème, se sont accaparé et où, le samedi après-midi, des équipes de potes s’affrontent, elles s’appellent « Race et Sympathie » ou « Cachaça » ( !). Elles se forment ou se déforment selon les présents. Certains sont bedonnants, d’autres fringants, c’est rien moins que Chico Buarque, le chanteur, poète, écrivain, la conscience du Brésil, qui m’embarque, oh ! pas pour jouer (je ne tiens pas à me mettre minable !), juste pour grossir la « torcida », les supporters, auprès de femmes, enfants et amis des compétiteurs.
Chico Buarque & Bob Marley – la rencontre de légendes.
Chico est fou de foot, d’ailleurs chaque fois qu’il arrive à Paris, aujourd’hui encore, il s’organise un match à Bagatelle, avec ses potes musiciens, dont Marcio Faraco. Ici comme là-bas, c’est un attaquant tonique, buteur à l’occasion. Jamais ridicule.
Revenons au 21 juin 86, après le tournoi des potes, direction la buvette du stade. Sur le bar, une télé, et à l’écran, un quart de finale… Brésil – France. Question torcida, c’est déséquilibré, il y a une cinquantaine de Brésiliens dont quelques copains… et moi. En plus, pas vraiment pro-bleus. Je passe mon temps au Brésil, j’aime le beau jeu, point final. certains de mes voisins me vannent, gentiment. Pour eux, je me dois de soutenir la France et en même temps, je suis le punching-ball idéal !
Ils sont confiants, les Brésiliens. Leur pays a remporté tous ses matches, mais Zico, la star, a peu joué et débute sur le banc. La France, elle, vient d’éliminer, de belle manière, l’Italie, tenante du titre. Et Les coéquipiers de Platini et Rocheteau sont fringants. Le Brésil domine mais Bats tient bon, dans les cages. Jusqu’à la 32° minute, quand Careca fusille le portier. Goooooolll !!! Les Brésiliens de la buvette sautent comme un seul homme, je brûle de faire comme eux, mais je joue mon rôle de victime, je ne décolle pas de ma chaise, et mes voisins me vannent encore plus. Pour eux, c’est plié.
Sauf que… dans la foulée, Platini hérite d’une balle de Stopyra et… égalisation. Hou, certains me matent avec moins de condescendance. C’est la mi-temps dans la fournaise de Guadalajara, et à la buvette, la bière tourne. Autour de moi, on est sûr de soi, c’est encore aimable. Et on attend qu’enfin, Zico fasse son entrée.
C’est chose faite à la 71° minute, « mes » Brésiliens sont chauds, effectivement, sur un de ses 1° ballons, Zico est « séché » par Bats. Pénalty. Et 1° rebondissement : Bats détourne le tir de Zico. Près de moi, ça hurle autant que le commentateur. On me mate avec moins de sympathie. Le jeu s’emballe, ça peut pencher pour la France comme pour le Brésil .
Et ca ne penchera pas. Durant les prolongations non plus, malgré les tentatives de Socrates d’un côté, Rocheteau de l’autre. Arrive ce que tous redoutent, l’épreuve des tirs au but. L’angoisse pour mes compagnons de télé, pour moi aussi. Et un suspens qu’aucun dramaturge n’oserait cogiter.
Bats repousse le tir de Socrates, Zico, cette fois, trouve les filets, Alemão et Branco aussi, côté bleus, Stopyra, Amoros et Bellone marquent, et voilà que Platini… oui… Platini, manque le cadre ! Mais… Julio Cesar aussi, pour le Brésil. C’est chaud-bouillant. Le sort du match dépend de Luis Fernandez. Je me bouche… les yeux. Le cri de détresse de mes voisins me donne le résultat : Brasil go home ! Chico Buarque et quelques-uns des spectateurs de la buvette viennent me féliciter, mais la majorité refuse de me serrer la main et me regarde, l’œil noir, quitter le terrain… enfin… la buvette.
Un d’eux me ramène à Rio, sans desserrer les dents, les rues sont désertes. Une douche, et cap sur Cinelandia, dans le centre ville. Car pour la 1° fois, la France exporte à Rio sa Fête de la Musique. Sans imaginer un instant que ça tomberait le jour de France – Brésil et que les Brésiliens seraient… hors jeu. On attendait 50 000 personnes, il y en aura 200, avec 3 malheureux drapeaux français dans le public en terre hostile.
Je n’ai pas le cœur à rester. Je suis triste pour eux, avec eux. Le silence est impressionnant, je prends le taxi, le chauffeur est taiseux, il rumine, et puis, une question :
– Vous êtes Brésilien ?
– Euh… non, Français…
– Meeerde (il pile), jusque dans mon taxi…
Il ne me reste que 500 mètres, je préfère finir à pied. Je paie. Le chauffeur me lance… « On se rattrapera dans 4 ans ».
En fait, il devra attendre 8 ans, jusqu’en 94. Quant à 98…