Petit guide musical de la série de David Simon
David Simon écrit. Des articles, des livres, et surtout des séries. Et pas n’importe lesquelles : c’est le créateur de la cultissime The Wire et de la très prometteuse Treme. Deux projets qui s’attachent chacun à dresser le portrait d’une ville – Baltimore pour The Wire, la Nouvelle-Orléans pour Treme. Le résultat est précis, réaliste, presque documentaire…
Rien n’est laissé au hasard, et surtout pas la musique, qui contribue à dépeindre la réalité d’une ville dans toute sa complexité.
La musique est omniprésente dans l’œuvre de Simon et pourtant, ni Treme ni The Wire ne présentent de bande-son à proprement parler. Aucune illustration sonore, seulement de la musique qui émane directement de l’action – pour faire compliqué, on peut parler de la musique diégétique, c’est-à-dire qui existe à l’intérieur des scènes et que les personnages entendent de la même façon que le téléspectateur.
Blake Leyh, superviseur musical des deux séries, explique que « la musique est uniquement utilisée pour recréer la réalité, donner une meilleure idée de l’environnement dans lequel les personnages évoluent ». Pas de musique apposée sur l’image pour souligner le suspense, l’action ou les sentiments : un vrai parti-pris.
Treme : la musique comme personnage
La Nouvelle-Orléans a toujours été une ville de métissages. Une ville qui fait le lien entre plusieurs continents et plusieurs cultures. Une ville où tous les américains vous diront qu’il souffle un vent de liberté – on la surnomme d’ailleurs la Big Easy. Mais surtout et avant tout une ville de musique(s).
Influences africaines, européennes et créoles, religieuses et profanes, savantes et populaires, New Orleans fait son propre grand mix depuis des siècles. Ca a donné Mardi-Gras, la cajun music, les brass bands, le zarico, le jazz, le rhythm and blues, le bounce, et même Frank Ocean. La musique est partout : dans les clubs, sur le port, dans la rue, aux baptêmes comme aux enterrements.
Les gens qui bavardent sous les porches des maisons, les cloches qui sonnent, les chœurs qui chantent, les prêcheurs, les marching bands…
Fats Domino, Professor Longhair, Allen Toussaint et bien d’autres y sont nés. Même l’aéroport s’appelle Louis Armstrong, c’est dire.
La musique est la véritable héroïne de Treme – le nom d’un quartier noir de Nola. La série célèbre la ville en musique et s’interroge sur la continuité de cette scène musicale après l’ouragan Katrina, qui a englouti en 2005 beaucoup de lieux de spectacle et fait fuir bon nombre de musiciens.
La plupart des musiciens mis en scène dans Treme sont de véritables artistes originaires de Louisiane. John Boutté, trompettiste et chanteur local, ouvre chaque épisode avec le générique Treme Song. Une chanson enregistrée deux ans avant l’ouragan, dans laquelle il dépeint toute l’ambiance sonore du quartier : les gens qui bavardent sous les porches des maisons, les cloches qui sonnent, les chœurs qui chantent, les prêcheurs, les marching bands…
Le personnage de Delmond Lambreaux, trompettiste expatrié à New York, est directement inspiré de l’expérience de Donald Harrison Jr., jazzman qui a quitté Nola après Katrina mais en est depuis revenu. Harrison a par ailleurs été consultant pour la série et apparaît plusieurs fois dans la saison 1, jouant son propre rôle.
Kermit Ruffins joue également son propre rôle. Ce néo-orléanais pur jus n’a quitté la ville qu’une seule fois, pour donner un concert à New York. Trompettiste et chanteur fan d’Armstrong, il est connu pour son penchant pour le cannabis et pour sa tendance à cuire des barbecues sur scène (hé oui !).
Son Rebirth Brass Band apparaît à plusieurs reprises, donnant lieu à des scènes restituant fidèlement l’effervescence de la Nouvelle-Orléans.
David Simon s’est également offert quelques légendes, et notamment Allen Toussaint et Elvis Costello, réunis en studios dans une courte séquence de la saison 1 pour chanter « The Greatest Love ».
Des anciens donc, mais également la nouvelle génération, qu’incarne par exemple le jeune Troy Andrews, alias Trombone Shorty – surnommé ainsi car il fait sensation sur scène depuis ses 6 ans. Natif de Tremé, son « supafunkrock » est le signe d’une relève prometteuse, qui commence à s’exporter. Un espoir que la série dessine en demi-teinte.
Lire l’article sur THE WIRE et sa musique.
Deux villes, deux séries, deux bandes-son à la fois foisonnantes, pointues et pertinentes.
On n’a plus qu’à dire chapeau et merci, David Simon.