Une exposition à découvrir au Musée de l’Homme à Paris
En 1761, un navire français transportant des Malgaches destinés à être vendus comme esclaves fait naufrage au large de Madagascar. Les survivants se réfugient sur la petite île déserte de Tromelin. Les membres de l’équipage parviennent à construire un bateau de fortune avec les débris de l’épave et quittent l’île en promettant aux esclaves de revenir les chercher, ce qu’ils feront. Mais quinze ans plus tard…
L’histoire des esclaves oubliés de l’île de Tromelin, c’est une exposition à découvrir au Musée de l’Homme place du Trocadéro à Paris. Elle s’inscrit dans le cadre de la saison intitulée En droits !, qui célèbre l’anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, signée en 1948. Une exposition qui mêle archives historiques et vestiges archéologiques pour reconstituer la manière dont les naufragés ont réussi à survivre, perdus au milieu de l’Océan Indien, pendant quinze longues années.
Tromelin, une île d’1km2 au large de Madagascar, dans l’Océan Indien. Les vents y soufflent constamment et pendant la saison cyclonique, les tempêtes tropicales emportent tout. Aucun arbre, seulement quelques buissons, pas d’abris, l’océan, tout autour où que l’on regarde, à perte de vue. Des conditions de vie tellement dures que personne n’y a jamais vraiment habité, sauf depuis les années 50 et l’installation d’une station météo. Les météorologues découvrent alors d’étonnants vestiges archéologiques. Ils contactent le Groupe de Recherche en Archéologie Navale (GRAN) dont Max Guérout, commissaire de l’exposition, en est le directeur. En 2006, il décide d’initier des missions archéologiques sur place. Car si l’histoire du naufrage, du navire, et de l’équipage français était bien connue, celle des naufragés restait un mystère. Or l’archéologie a ceci de particulier : elle permet de faire la lumière là où l’histoire s’arrête.
« Par le biais de l’archéologie, on donne voix à des gens qui d’habitude, ne sont pas connus. L’histoire, l’histoire coloniale encore plus, et l’histoire de l’esclavage tout particulièrement, n’est connue qu’au travers des écrits des dominants […] qui représentent tous le pouvoir colonial, à part quelques rares exceptions », précise André Delpuech, le directeur du Musée de l’Homme.
Au sein de l’exposition Tromelin, on peut découvrir d’abord le contexte historique de la fin du XVIIIe siècle, le commerce dans l’Océan Indien, la Compagnie des Indes, l’histoire du navire – l’Utile – celui qui a transporté ceux qui deviendront les naufragés de Tromelin, sa construction, son voyage depuis la France. Ici, archives écrites, dessins, peintures, maquettes, ont facilement permis de reconstituer le parcours du navire et son naufrage. Un tableau représentant le port de Bayonne en 1761, l’année où parti le bateau, est présenté. Mais que se passe-t-il après, sur l’île, pour les naufragés ? C’est ce que nous apprend la partie de l’exposition consacrée aux fouilles archéologiques.
En 2006, une première fouille sous-marine de l’épave a lieu, suivie en 2008, 2010 et 2013 de trois missions terrestres. Les archéologues mettent au jour plus de 700 objets ainsi qu’une douzaine de bâtiments de pierre, faisant apparaitre un véritable lieu de vie. Nous avons rencontré Thomas Romon, archéologue à l’INRAP et spécialiste en archéologie funéraire de la période coloniale. Il a pris part aux missions sur l’île de Tromelin, et nous a présenté les vestiges découverts exposés au Musée de l’Homme. Des ossements d’animaux ont permis de révéler que les naufragés se nourrissaient d’oiseaux et de tortues rôtis. Il n’y avait pas d’arbre sur l’île, tout le bois provenait des débris de l’épave. Des ustensiles de cuisine ont également été récupérés et remodelés, et certains objets ont même été fabriqués sur place, comme par exemple un petit bracelet de cuivre, l’un des rares objets non-utilitaires qui a été retrouvé. Mais le plus impressionnant reste les abris de pierre sèche que les naufragés ont construit.
A l’époque, à Madagascar, les maisons étaient traditionnellement fabriquées avec des matériaux périssables, du bois, de l’argile. À Tromelin, rien de tout ça. Les naufragés vont donc devoir utiliser de la pierre. « Cela signifie braver un interdit religieux très important car la pierre est normalement réservée à la fabrication des tombeaux. Symboliquement, c’est très fort, d’habiter dans des tombeaux. Surtout quand on sait que la plupart des naufragés sont morts sur l’île », explique Thomas Romon.
Au fil de l’exposition, des questions surgissent : comment les naufragés ont-ils réagi à tout ce qu’il leur arrivait ? Comment ont-ils réussi à tenir sans perdre la raison ? L’envie est vive d’avoir accès à leurs témoignages directs. Bien qu’il n’y en ait aucun, Sylvain Savoia, auteur et dessinateur de bande-dessinée, apporte des éléments de réponse. Son superbe album Les esclaves oubliés de Tromelin, paru en 2015 aux éditions Dupuis et dont certaines planches sont présentées dans l’exposition, raconte l’histoire du naufrage à travers des personnages qui donnent corps au récit. Il a accompagné les missions archéologiques sur place et mêle dans son album son expérience et le travail des archéologues au récit tragique des naufragés.
En 1776, enfin, après quinze ans d’oubli, un bateau vient enfin à leurs secours. Sur les 80 naufragés ne restent que sept femmes et un bébé. On les emmène à l’île de France (actuelle île Maurice), où ils sont déclarés libres. La trace de leurs descendance n’a malheureusement pas pu être retrouvée. Sylvain Savoia explique : « C’est assez difficile de faire parler de l’esclavage, ça reste encore tabou pour beaucoup de familles qui ne veulent pas reconnaître qu’elles sont descendantes d’esclaves. C’est aussi à ça que servent toutes ces recherches, à libérer la parole pour que les gens se déchargent de ce poids de l’histoire ».
Tromelin, L’île des esclaves oubliés, une exposition à découvrir au Musée de l’Homme à Paris jusqu’au 3 juin 2019.
Les témoignages des acteurs de l’exposition sont à retrouver en podcast sur la page de Néo Géo.
Visuels © Musée de l’Homme, © Sylvain Savoia