Le Brady : prolétaire et permanent.
Les éditions verticales viennent d’éditer un récit étrange, original et cru : les souvenirs d’un certain Jacques Thorens, projectionniste et homme à tout faire de cette salle mythique qui, vu son âge se définirait plutôt comme culte .
Le BRADY, à l’ange du passage du même nom dans le Paris 10eme , se trouve à Château d’eau, pris entre les tamouls de la gare du Nord, les prostituées de l’est, puis chinoises, les salons de coiffure africains, rendez-vous des sapeurs congolais et entourés de tant d’autres turcs, hindous , yougoslaves , blacks et rebeus du coin. Le vrai Paris cosmopolite dans le bon sens du terme, avec ses restos, boutiques, maraichers, épiciers de la World culture, bref très agréable, j’y ai vécu .
En prime un certain JEAN PIERRE MOCKY, cinéaste de son état, en a été le proprio pendant des années, achevant de faire de ce cinéma BIS , un permanent avec 2 films au programme : un Mocky et un nanar.
J’entends par nanar le cinéma de genre : érotisme, vampires, porno blacksplotation , western spaghetti, Kung Fu, femmes en cage, cannibales, nazisplotation etc…
Quant à Mocky, il y est décrit sans complaisance, malgré les grands classiques que le cinéma français lui doit : un drôle de paroissien, l’étalon, le miraculé…(allez voir)Voici donc un livre décousu, fait d’anecdotes, de souvenirs et de considérations que j’appelle « populaires aristocrates », décrivant les mœurs de clochards, biffins, prostituées et zonards divers, en plus des comédies de ce quartier spécial.
L’auteur y parle vrai, et sans fausse pudeur. Les êtres y sont souvent fantaisistes , fous, mais désintéressés , damnés mais généreux , loin du cliché parce que justement celui qui écrit n’est pas un pro de l’édition, traquant le cliché pour vendre !
Quand on s’y moque d’une célébrité, il y a son nom, et tant pis pour les mécontents. Le demi-monde du cinéma prend quelques coups de pieds au fesses. C’est bon.
Bien sur, il y a le côté crade avec les toilettes, les travelos, les éternels trafics de la misère sexuelle, les obsédés, et les victimes, mais pour moi c’est une sorte de réalisme fantastique et je pense à l’écrivain FRANCIS CARCO, et à l’époque ou cinéma et littérature aimait encore les pauvres, les déshérités.
Car il y a moins de misère au coin des rues chaudes, dans les quartiers intermédiaires ou des étrangers survivent , que dans une seule émission de téléréalité, quand la télé- voyeuse montre de pauvres gens incultes et exhibitionnistes, jouant aux starlettes, obligés de flirter ou de faire semblant d’être excités, afin d’intéresser … Qui au fait ?
Voilà pourquoi ce livre de témoignage est précieux, et l’auteur connait bien son sujet. Il évoque aussi d’autres lieux mythiques comme LA SCALA, le PARIS CINE et un peu d’histoire des lieux étranges et interlopes de Paris . ( à la fin du livre, un glossaire expliquant les terminologies et les genres de ces cinémas maudits…)
On nous répète de ne pas stigmatiser pauvres et étrangers, alors voici une occasion de comprendre les marginaux et de cesser d’avoir peur des autres.
_ LE BRADY . Cinéma des damnés. Par jacques Thorens. Editions VERTICALES.
350 pages . 21 Euros