Echange fleuve avec le prodigieux beatmaker de PlugResearch Records
« Je veux mettre en musique la vie qui m’entoure ».
Voilà l’exigence que s’impose Myth Syzer, beatmaker intelligent du crew Bon Gamin! qui signe son prochain EP chez le respectable label Plug Research (Flying Lotus, Bilal) et travaille sur un projet avec SHVUN DXN et Muff Lucid, membres de l’explosif RVIDXR KLVN. Avec une musique aussi romantique que mélancolique, Myth Syzer crée une ambiance onirique, coupée de l’espace-temps, pendant qu’il impose sa patte originale à une scène hiphop parisienne exigeante.
Une discussion riche pour un dimanche soir où l’auteur de la fameuse mixtape From Paris With Love Feat. Perrion nous parle avec intimité de son rapport à la musique, sa conception de la création et de ses influences notamment.
Avis aux lecteurs et auditeurs, vous êtes face à un artiste qui vit et réfléchit musique.
Rencontre, découverte et immersion dans la tête de Myth Syzer.
D’où viens-tu et comment s’est faite ton entrée dans la scène parisienne ?
Je viens de Vendée, 85000 La Roche-Sur-Yon, là où il n’y a que des grands-parents. Après mon bac je suis monté à Paris, il y a deux ans, pour la musique. Je n’avais pas encore de projet défini. Tout s’est déclenché ici, même si j’avais déjà fait un son avec Joke uniquement grâce à internet, LutherBurger, en Février 2011. Alors, quand je suis arrivé, j’avais une petite réputation qui m’a permis de commencer. C’était le début de ma carrière.
Au regard de ma (courte) carrière, j’en suis seulement au quart selon moi. Depuis les trois derniers mois, j’ai vraiment connu une évolution. Avec la signature sur PlugResearch, il y a cinq mois, il y a quelque chose d’excitant, de nouveau et de flippant. C’est après le live Free Your Funk à la Bellevilloise le 19 Mai que E. Forlani, a fait en sorte que je signe. Ce qui est bon, c’est qu’ils vont me faire venir sur Los Angeles pour faire une tournée, en plus du EP le 4 Décembre et d’un album en Mars. C’est énorme pour moi, et j’ai envie qu’ils soient fiers de m’avoir entraîné chez eux.
Tu présentes un travail de production rigoureux qui souligne l’importance du beatmaker. Qu’est ce qu’un beatmaker pour toi ? Quel est son rôle et son importance dans la musique ?
Le beatmaker c’est la base, le mec qui fait 70% du hiphop.
Après ça dépend du style de hiphop, chez Lil Ugly Mane un rappeur/producteur américain (voir article sur NovaPlanet), c’est un tout. Mais bon, c’est ma vision en tant que beatmaker. J’ai une écoute particulière puisque, par exemple, je vois exactement quel type de compresseur un producteur utilise pour créer un son spécifique.
Il semble aussi difficile de rapprocher ta musique d’autres artistes que de définir la singularité de ton son tant il est vaste. Raconte-nous quelle est ta musique.
C’est dur comme question ! Je pense que je fais juste la musique que j’aimerais écouter… Ca marche avec mes humeurs, ce qui se passe dans ma vie. Mais s’il faut coller une étiquette à ma musique, c’est sûr que je fais du abstract-expérimental-ambiant hiphop. Je ne vois pas se que ça pourrait être d’autre. La grosse différence avec le HipHop que l’on écoute généralement c’est l’ambiance. Elle est primordiale dans mon choix des bruitages et du type de sons. L’ambiance, toujours.
Le beatmaker étant le musicien technologique du hip hop, parlons technique. Sur quel instrument et quelle machine préfères-tu jouer?
Je n’ai pas trop les moyens de m’acheter de l’analogique, pour l’instant, donc je joue principalement sur du numérique ; Logic Pro sur Mac et au début FL Studio sur PC que j’utilise encore aujourd’hui pour des instrus qui tapent bien du type 808. Pour mes futures compositions, je n’utilise que Logic, ça va être de la prise audio. Aussi, je prends des sons dans des parcs, dans la rue pour mettre de la vie dans ma musique. Parce que c’est ça pour moi… Qu’est ce qu’il y a de plus ambiant que la vrai vie ? rien d’autre. C’est très exigeant comme démarche mais de toute façon, je suis déjà fou. C’est une maladie pour moi la musique. Je ne pense qu’a ça.
Je veux que les gens réfléchissent au sujet de ma musique, que ça leur apporte une vraie émotion, mais aussi qu’ils se débrident. C’est à dire qu’ils se libèrent et se lâchent, fassent des choses sans contrôle. En fait, qu’ils matent un film.
Tu vis et travailles au même endroit. dans un studio. Quel est ton rapport entre le lieu et le travail ?
Je m’enferme, je me mets dans le noir avec ma petite lumière rouge et voilà, après je compose dans la concentration. Je suis dans le rouge, j’adore ! Je fais ça depuis pas très longtemps mais je me rends compte qu’une ambiance, dans la musique et dans la composition, c’est super important. Dans mon studio, je crée ma bulle, je m’évade du monde extérieur pour me recentrer sur ce que je fais moi.
Quels sont les goût d’un vendéen ? IAM, NTM ou Le Roi Heenok ?
(rire) Le Roi Heenok c’est cool mais bon, c’est pas sérieux.
IAM direct. NTM j’ai voulu écouter quand j’étais petit mais seulement Ma Benz me plaisait. NTM, ce sont les parisiens qui écoutent ça ! C’est inconscient mais il faut assumer que ta ville joue sur ce que tu aimes et ce que tu écoutes. Pour moi c’était une autre vision des choses. Tout mon entourage en province écoutait IAM. Je sais pas, c’est un goût collectif. Quand je voyais le clip Petit Frère et puis que j’écoutais l’album en entier, je pétais un câble.
Pour moi, ce qui ferait peut-être la différence entre ta musique et celle d’autres beatmakers c’est ton sens du rythme. Tu répètes, tu ralentis, tu fais bugger, tu casses brutalement le beat. Quel regard portes-tu sur ton beat dans tes sons?
Exactement ! Ce que tu décris là c’est l’effet de surprise ; c’est super important !
La surprise c’est la réussite : une boucle courte qui enchaîne sur des sons qui partent dans tous les sens. Tu n’as pas envie d’acheter un album pour entendre la même chose qu’il y a deux semaines. C’est ce qui plait à tout le monde : la surprise, que ce soit dans la musique ou le cinéma. Donc j’essaye de me renouveler sur chaque EP, rester dans une même ligne sans lasser l’oreille. C’est ce qu’il y a de plus difficile.
Ta musique semple apparaitre sous différentes couleurs musicales, parfois romantique, parfois onirique, parfois sombre. Quel serait le lien entre ces ambiances musicales et toi-même?
T’as tout dit. Ces trois points, c’est moi. Je n’ai jamais été complétement joyeux dans ma musique. La musique est une thérapie, ça remplace mon psy pour me sortir de mes moments difficiles. Sachant que pour moi la musique c’est la vie, il y a des bons et des mauvais côtés. C’est un putain de ying et de yang, tu vois ?
Bizarrement, quand je suis trop bien ou trop mal je suis pas productif. Il me faut un bon équilibre, une joie avec une touche de mélancolie.
Tu réalises tes propres clips, les pochettes de tes EP sont toujours travaillées et ta musique est assez cinématographique. Quelle place joue l’image dans ta composition musicale?
Super important ! On me le dit souvent ça. J’ai fait la pochette de Fleep, la moins bonne selon moi parce qu’elle vieillit mal. C’est vrai que j’associe souvent le son avec l’image donc je travaille avec des graphistes. Pour Alone et Fuh, c’est un collectif de Lyon qui s’appelle Ovnav. Ensuite, Guillaume Bonté 96 a créé les artworks pour PUR et HYT mon prochain EP.
Quand je produis, je ne vois pas d’images précises mais plutôt des couleurs et des formes. C’est après, à l’écoute, que j’associe des images. Par exemple, pour Blue, c’est la ride en grosse caisse bleue qui saute de partout, c’est le gangstérisme chill. Un gangster dans sa caisse qui n’est pas pressé de tuer l’autre mec. J’ai trouvé des images du film Midnight Boulevard et j’ai calé le son dessus.
Si je ne faisais pas de musique, je ferais du cinéma. Réalisateur, direct. L’image et la musique, c’est ma vie, j’adore ça. C’est ce qu’il a de plus complémentaire.
Premier souvenir musical?
Ma relation à la musique a commencé en cachette. Mon grand frère avait plein de CD qu’il ne prêtait jamais. Et moi, en tant que petit, j’aimais l’interdit. J’écoutais Raggasonic, Alliance Ethnik, IAM, MC Solaar quand il était pas là, sinon je me faisais engueuler.
Ensuite, un peu plus tard, je me rappelle d’un mec en colo qui m’avait fait écouter Eminem, premier gros souvenir musical. Après Dr. Dre 2001, The Marshall Matters LP et tout le label Death Throw m’ont donné envie de commencer la musique.
Sinon en France, c’était l’Alliance Ethnik, le Ministère A.M.E.R… Ah je me rappelle de Mixomatose aussi ! Un album du Gang Show Lapin avec un gros featuring de Stomy Bugsy. J’avais 10 ans et j’écoutais ça à fond, le Secteur A, presque que ça.
Tout ça s’assemble, il y a un point commun. Le Secteur A, ils ont quand même une grosse influence West Coast dans leurs paroles et leur état d’esprit. En fait, j’ai toujours été West Coast, 2Pac et gangsta rap. Ce qui se fait à New York c’est rincé maintenant ! (rire)
Un souvenir marquant de concert ou d’écoute ? Un moment précis ?
J’étais petit, j’ai écouté un son de Mickael Jackson et j’ai eu des frissons énormes. Je ne saurai pas te dire quel morceau c’était parce que je n’ai jamais écouté en détail. Plein de souvenirs intenses remontent. Ah oui ! Je filmais avec mon caméscope les clips sur MCM genre Caroline et je les matais dans le petit oeil de l’appareil. C’était plus compliqué avant mais au moins, il y avait des bons clips !
La musique te suis depuis très tôt. Raconte-nous tes premiers pas dans la production?
J’avais commencé tout seul dans mon coin mais c’était trop dur. J’étais mauvais, c’était difficile et démoralisant. J’ai donc arrêté avant de rencontrer un pote à La Roche-Sur-Yon. Avec les rencontres qu’il faisait sur internet et MySpace, il m’a vendu du rêve ! En fait, indirectement, il m’a lancé de façon sérieuse dans la musique quand j’avais 15 ans.
Esnuite, c’est ma patience qui a fait la différence. Il faut prendre son temps mais rester impliqué à fond, attaché, il faut être dedans physiquement.
Le hiphop s’est adouci alors qu’en vrai, je pense qu’il faut une attaque qui te caresse l’oreille
Quels artistes t’ont influencé à la fois pour démarrer la musique et dans le style de sons que tu cherches à reproduire?
Je dis tout le temps J Dilla mais il n’y a pas que lui. En fait, J Dilla c’est une personne que j’admire mais j’ai pas la prétention de faire ce qu’il a fait. En plus, ce n’est pas la musique que j’ai envie de créer.
Là où J Dilla m’a influencé, c’est dans la technique de coupage de sample qu’on trouve sur Donuts. Il inclue un rythme dans la manière de couper le son. Et même au niveau des drums, il m’a inspiré pour faire en sorte que la musique tape. Un beat qui ne tape pas, ça ne sert à rien. C’est plus du hiphop. Ta chaîne hifi il faut l’utiliser à fond. Les drums, c’est trop important pour être négligés. Aujourd’hui le hiphop s’est adouci, alors qu’en vrai je pense qu’il faut une attaque qui te caresse l’oreille.
Par rapport à mon sens du beat dont tu parlais avant, il y a des artistes pas trop connus qui ont eu une grosse influence sur ma musique. L’effet de surprise et le beat qui tape, j’ai appris ça grâce aux BeatMaker Contests RedBull à Los Angeles et aussi aux anglais qui faisaient des beats plus bourrins comme Cypher. Pendant une période, je n’ai pas arrêté de regarder les vidéos de Jaisu et Kelakowski !
Tu est souvent accompagner d’artistes internationaux mais tu gardes malgré tout un plaisir à rester seul. Avec quels artistes aimerais-tu collaborer ? Pourquoi?
ThunderCat, c’est un dieu ! La ligne de basse DMT sur son dernier album est géniale. Aussi, Bootsy Collins le bassiste de James Brown et maintenant de Funkadelic. En fait ce sont des bassistes qui m’intéressent, preuve de mon intérêt pour la rythmique.
Sinon, côté chanteuse, Anna Wise du groupe SonnyMoon (Just Before Dawn, clip magnifique) qui est sur mon label Plug Research et qui a fait un featuring avec Kendrick Lamar sur le morceau Real. J’espère vraiment faire quelque chose avec elle. Tellement réelle sa voix, elle pue la rue !
Les derniers succès montrent que l’esprit de crew redevient primordial dans le rap FR comme US. Quelle est son importance dans le hiphop selon toi ? Parle-nous de Bon Gamin!.
L’union fait la force, c’est tout.
Un crew, ce sont des bons éléments qui s’entraident. J’ai un gros respect pour mes frères Loveni et YannIchon. Je les trouve trop bons et puis c’est un énorme plaisir de les écouter, de partager la scène avec eux. Dans un crew, par une admiration commune, tout le monde progresse ensemble. Je les admire humainement et musicalement; donc partager sa passion avec eux, c’est le pied. Surtout pour les lives, tu fais la fête avec tes frères.
J’aime aussi bien le collectif parce que ça permet d’avoir deux carrières en parallèle, comme Q- Tip… une avec un crew et l’autre en solo. Comme ça, tu te diversifies et tu te dépasses.
Ton regard se tourne souvent vers les Etats-Unis, cette fois-ci Est Coast. Comment s’est passée ta collaboration avec Perrion sur From Paris With Love?
Meilleure mixtape mec, toutes confondues. Je ne me la pète pas ! C’est juste que personnellement, je l’adore, alors qu’il y a plein d’autres de mes sons que je n’aime pas. Et puis c’est une vraie mixtape avec une ambiance, un mix particulier et un mec génial comme Perrion. C’était grand cette collaboration, un plaisir sur toute la longueur.
Quelle est ta création personnelle préférée?
Je suis fier du projet Ilha et je compte le continuer. C’est un hiphop avec un filtre low-fi ; un peu boom-bap avec un kick à la place du snare, à la Knowledge en fait. Aussi j’aime bien Alone avec la 808. Ce qui est puissant, je trouve, c’est que ça peut plaire aux fans d’électro et aux fans de hiphop. Ma musique c’est un hiphop qui s’en éloigne autant qu’elle s’en approche.
Mais de tous mes projets, c’est malgré tout From Paris With Love avec Perrion que je préfère.
Un surfeur qui se noie dans un tsunami
Parle-nous de ton nouvel EP, qui sortira le 4 Décembre.
Mon EP sur PlugResearch s’appelle HYT. Mes EP ont tout le temps un nom très court, avec peu de caractères. En plus, HYT sont trois lettres que l’on retrouve dans mon blaze. Après, j’ai cherché sur internet et j’ai trouvé que c’était le nom d’une divinité égyptienne à caractère céleste. Divinité c’est déjà chaud, à caractère céleste encore plus ! Je l’ai tatoué, mec ! Je cherchais un moment, un sens dans ma vie pour me faire tatouer.
C’est un premier point d’orgue dans ma carrière parce que c’est mon premier projet chez PlugResearch et que ça fait partie de mon blaze, ma vie quoi !
On ne sait même pas quelles sont les caractéristiques de cette divinité égyptienne. Donc ce côté mystérieux me plaît parce qu’il permet l’imagination et le développement à venir. Ca peut être la divinité de la zoophilie, ça me dérangerait pas !
Tu disais que tu cherches constamment à renouveller ta musique tout en gardant une ambiance latente. Tu peux nous en dire plus sur ton EP ? Des featurings ?
Deuxième track, DreamKoala, c’est tout. Il a joué une guitare et une basse sur un morceau. Sinon que de l’instrumental. DreamKoala, c’est un beatmaker de 17ans qui vient de Paris. Il va décoller rapidement parce qu’il est très bon. C’est au live de Perrion et moi à la Favela Chic qu’il nous a courus après. Il était un peu lourd pendant le concert et même après sur Facebook. Mais ensuite, il m’a fait écouter son SoundCloud et je me suis rendu compte qu’il était très bon. Il s’y connaît avec sa famille de musiciens brésiliens.
En plus, la nouvelle génération a une capacité à analyser plus rapidement parce qu’ils sont nés avec la technologie. C’est aussi plus facile aujourd’hui avec les didacticiels et le matos. Comment savoir que pour un sample, il faut couper au milieu du temps ? Ca, j’ai dû faire tout seul.
Après un hiphop brut et tappant, quelle est la nouvelle ambiance dans cet EP ?
C’est la musique que j’aime et que j’ai envie de faire en ce moment même. Pour imager ça, tu prends un surfeur en slow-motion qui surfe sur un tsunami à minuit. Il se casse la gueule, il est sous l’eau, il va se noyer, il se noie. Ma musique sur cet EP raconte donc sa vague, sa chute et sa noyade dans une ambiance plus ambiant et low-fi que mes anciennes créations.
Sortie demain, mardi 4 Décembre…